Et quelques brins de laine à l’extrados pour observer « l’invisible »…
La forme en plan d’une voilure fait partie des nombreux compromis à définir lors de la conception d’un aéronef léger. Plusieurs domaines sont à étudier, allant des coûts de production et du temps de fabrication à la technologie retenue en passant par l’aérodynamique et donc les performances…
La technologie et la forme en plan
Il faut déjà évoquer la technologie retenue, sachant que le nombre d’appareils produits reste très faible si l’on compare avec l’industrie automobile et qu’il est souvent difficile d’amortir l’outillage de production sauf lors de grandes séries. L’an passé (2024), les principaux constructeurs de l’aviation générale dans le monde, regroupés au sein de la General Aviation Manufacturers Association (GAMA), ont revendiqué la diffusion de 1.772 avions à pistons
(mono et bimoteurs), chiffre qui peut ne représenter que le résultat d’une seule journée de production d’un seul modèle de voiture d’un seul constructeur automobile. Les deux domaines, automobile et aéronautique, ne peuvent donc se comparer !
Si la technologie retenue est le composites, il faudra rentabiliser la réalisation des moules, coûteux à modifier en cours de production si des évolutions sont prévues mais le temps de production pourra être alors réduit. Dans le cas du bois-et-toile, si des gabarits de montage sont nécessaires, plus faciles à modifier si besoin par la suite, le temps de production restera important par le nombre d’opérations à réaliser : environ 1.600 heures de « travail manuel » pour un DR-400 selon la puissance installée contre moins de 20 heures de production d’une voiture, dont une bonne partie réalisée par des robots pour cette dernière… Dans le cas de la technologie métal, la production nécessite des gabarits de montage mais la fabrication fait appel à des machines-outils limitant le temps de production (plieuses, riveteuses, etc.).
Une fois la technologie retenue, si l’on retient trois formes en plan de voilure possibles (rectangulaire, trapézoïdale, elliptique), le temps de production sera donc différent.
L’aile rectangulaire, surtout si elle d’épaisseur relative constante sur toute l’envergure (Rallye), n’exigera que des nervures identiques pour la totalité de l’aile – d’où un temps de production réduit dans le cas du bois et du métal. Cela simplifie la production mais n’optimise pas le devis de masse ni la traînée (de frottement notamment par surface mouillée accrue). En composites, la forme en plan peut être plus complexe, jusqu’à la forme elliptique où toutes les nervures sont de corde différente et d’épaisseur relative décroissante en envergure. Il faut donc optimiser entre masse de structure, facilié de production, temps et coût de construction. Rentre également en jeu les performances mais aussi les qualités de vol.
L’écoulement aérodynamique au décrochage
Au-delà du choix de l’allongement de la voilure, qui intervient notamment sur le taux de montée, il faut ainsi aborder le comportement de la voilure au décrochage. Cela dépend en grande partie de la distribution de la portance en envergure (Fig. 1).
Celle-ci varie en effet selon la forme en plan de la voilure, avec les trois principaux types à évaluer : rectangulaire, trapézoïdale et elliptique (Fig. 2).
L’aile rectangulaire, la moins optimisée en masse, est la plus « sécurisante », car du fait de sa répartition de la portance en envergure, c’est au niveau de l’emplanture que les premiers décollements aérodynamiques vont survenir, avant de se propager progressivement vers les extrémités de voilure. Ainsi, le contrôle en roulis sera maintenu jusqu’au décrochage, les ailerons étant « pollués » tardivement, et ce sans avoir besoin de vriller la voilure, pour donner de construction une incidence moindre aux extrémités de l’aile – ou en modifiant le bord d’attaque du profil d’extrémité de voilure, plus arrondi ou plus cambré (Fig. 4).
Dans le cas de l’aile elliptique, la plus optimisée au niveau de la répartition de la portance,
le décrochage va être progressif en envergure mais va atteindre au même moment le décrochage total de toute l’aile (Cz max), d’où un décrochage sec, à moins d’affecter un vrillage à la voilure, en lui faisant alors perdre une partie de ses atouts. Pour l’aile trapézoïdale (Mooney, Cirrus), les décollements vont intervenir du côté des ailerons, dégradant le contrôle en roulis de l’appareil jusqu’au décrochage, sauf à vriller les parties extérieures de la voilure ou avoir un bec fixe ou intégré à la voilure (Cirrus).
L’aile semi-trapézoïdale (DR, Piper PA-28, Cessna 172) est une solution intermédiaire, avec
une partie centrale rectangulaire et des extrémités trapézoïdales pour améliorer la répartition de la portance en envergure et limiter le devis de masse. Dans le cas des DR à forte puissance, bénéficiant de réservoirs d’emplanture (apex), ces derniers en plus d’augmenter la distance franchissable de l’appareil diminuent l’épaisseur relative du profil, favorisant le début de décrochage par rapport au profil standard de la voilure. Ainsi, le décrochage s’initialise à l’emplanture, générant du « buffeting » à la profondeur ressenti par le pilote suite aux décollements aérodynamiques, tout en conservant le contrôle en roulis sur les parties trapézoïdales vrillées (près de 10°).
On peut observer ces phénomènes lors d’un décrochage en les matérialisant à l’aide de brins de laine disposés régulièrement à l’extrados de la voilure. Dans l’exemple pris en compte en photos, il s’agit de la voilure gauche d’un DR-360 (profil Naca 43012 modifié). À faible incidence, volets rentrés, les filets de laine sont bien alignés dans le sens de la corde de la voilure. En croisière rapide, la partie centrale de la voilure assure l’essentiel de la portance, les extrémités de l’aile étant bien vrillées pour diminuer les moments d’emplanture.
En croisière, en configuration lisse, les brins de laine sont bien « lissés » par l’écoulement…
Augmentation de l’incidence avec les volets braqués, premiers décollements à l’emplanture…
Au fur et à mesure de la diminution de la vitesse et donc de l’augmentation de l’incidence, on note le comportement des différents brins de laine entre l’emplanture et les saumons, ceux-ci étant « pollués » tardivement du fait du vrillage de la voilure. Le décrochage débute en effet à l’emplanture, du fait de plusieurs paramètres. Le premier est le vrillage des parties extérieures de la voilure, affectées d’un important vrillage sur les DR, diminuant donc localement l’incidence par rapport à l’emplanture.
L’écoulement est fortement perturbé sur la partie rectangulaire de la voilure, les ailerons encore protégés… Certains brins de laine partent vers le bord d’attaque.
En augmentant encore l’incidence, les décollements débordent sur l’extrémité trapézoïdale…
De plus, les apex triangulaires (réservoirs d’emplanture) « initialisent » les décollements aérodynamiques (bord d’attaque plus pointu) lors du décrochage. On note qu’aux fortes incidences, peu avant le décrochage (la Vs0 est donnée à 93,5 km/h à la masse maximale sur le DR utilisé pour la séance photo), les brins de laine peuvent s’orienter vers l’avant de l’appareil, étant soufflés d’arrière vers l’avant par les tourbillons générés notamment par les apex.
Peu avant le « salut » de l’appareil, toute l’aile est impactée, y compris la partie vrillée au saumon de voilure mais l’extrémité d’aileron reste encore « active ».
Les tourbillons issus des décollements aérodynamiques à l’emplanture viennent également frapper l’empennage horizontal, créant le « buffeting » ressenti au manche, annonciateur « naturel » du décrochage en plus de l’avertisseur sonore dans le cockpit… ♦♦♦
Photos © Musée Espace Air Passion / Fonds Ivan Weiler
Illustrations © aeroVFR d’après “The Illustrated Guide to Aerodynamics” par H. C. “Skip” Smith (Tab Books)