
De la masse et du centrage comme paramètres…
Année après année, les rapports du BEA sont là pour montrer que des pilotes « s’enferment » dans une situation indésirable qui a pour nom « second régime ». Ce peut être notamment
par méconnaissance (la formation n’insiste peut-être pas suffisamment sur le phénomène, à la fois en théorie et en pratique…) ou oubli de notions liées à la mécanique vol, ou encore sous l’effet de paramètres incorrectement pris en compte, allant d’une piste limitative à une masse proche de la valeur maximale ou encore un centrage arrière. Bref, le pilote a fait décoller l’appareil mais celui-ci n’a pas voulu monter ni accélérer bien que la puissance délivrée par
le moteur soit nominale… La cause est donc bien à rechercher du côté de la technique de pilotage.
Nos avions légers sont majoritairement peu motorisés. Si l’on fait abstraction des avions de voltige surmotorisés et que l’on retient les biplaces école ou les quadriplaces de voyage que l’on trouve dans les clubs, les motorisations restent modiques. Tout est relatif mais un modèle quadriplace propulsé par un 180 ch à la masse maximale n’aura pas un grand excédent de puissance à offrir à son pilote, par conditions normales (niveau de la mer, température standard, avion neuf, état parfait de la piste, etc.). Alors si l’avion est ancien, la piste en herbe
et courte, avec un terrain en altitude et par température élevée… les marges sont faibles ou nulles.
Il faut donc bien avoir en tête les courbes fondamentales de la puissance « nécessaire » au
vol et de la puissance « utile » offerte par le groupe moto-propulseur (graphique en ouverture d’article). Et si l’on veut des marges de sécurité et donc un excédent de puissance disponible
si besoin, il faut que la puissance utile soit supérieure à la puissance nécessaire. Or, pour atteindre cette situation, il va falloir accélérer depuis l’alignement sur la piste et atteindre la vitesse permettant l’envol de l’aéronef. La vitesse de rotation préconisée figure dans le manuel de vol.
À l’instant où l’appareil quitte le sol, il est très proche de la vitesse minimale de vol. Le point où les deux courbes se croisent a été juste dépassé. Ce premier point où les deux puissances, nécessaire et utile, sont identiques, correspond à un état où aucun gain de performance n’est possible. La vitesse reste alors constante. Ayant décollé, les frottements des roues sur la piste ont disparu, cette forme de traînée n’existe plus. L’appareil bénéficie alors de l’effet de sol, plus ou moins important selon le type d’appareil, phénomène accentué sur un aéronef à aile basse.
Cet excédent de portance créé par l’effet de sol permet à l’appareil de se maintenir en vol tout en accélérant à proximité du sol. Il faut alors attendre la vitesse optimale de montée dans la configuration Décollage pour permettre à l’appareil d’entamer sa montée. En le forçant prématurément à le faire, en quittant trop tôt l’effet de sol – dont les effets sont théoriquement présents jusqu’à une hauteur proche de l’envergure de l’appareil – ce dernier ne réussira
pas à monter. Sur machines très faiblement motorisées – tels des motoplaneurs d’ancienne génération par exemple – le palier d’accélération après le décollage s’avère ainsi nécessaire.
C’est aussi le cas si le pilote effectue une rotation trop marquée, avec une prise d’assiette appliquée trop énergiquement, plaçant l’appareil à une incidence importante, créant de la portance mais aussi de la traînée. Si cette incidence est maintenue, la traînée peut limiter voire annuler toute accélération, l’avion restant en palier à faible hauteur, nez haut. La situation subie devient un piège. Si le pilote tire encore un peu plus le manche en espérant entamer une montée, il va accroître l’incidence donc la traînée et l’appareil ne va ni monter ni garder le palier mais descendre et retoucher le sol. La hauteur très faible au-dessus du sol ne va pas plus permettre, en « rendant la main », d’accélérer pour sortir du second régime.
L’appareil est alors du « mauvais côté de la courbe ». Le piège s’est refermé. Il n’y a pas de porte de sortie. Tirer sur le manche va augmenter l’assiette, donc l’incidence, donc la traînée
et la puissance utile étant inférieure à la puissance nécessaire, l’appareil va redescendre et rejoindre le sol. Pousser sur le manche pour diminuer l’assiette, donc la traînée et gagner
de la vitesse ne sera pas possible car l’appareil se trouve très près du sol et des obstacles.
Évidemment, seul à bord d’un quadriplace de 180 ch sans les pleins complets, la machine est tout à fait différente. Le potentiel de puissance est là et très vite après la rotation, l’appareil accélérant vite, la montée peut être entamée. La même situation avec trois passagers à bord et les pleins si le manuel le permet va faire de l’appareil une autre machine, n’offrant pas les mêmes performances. Et on ne parle pas d’un réglage différent du compensateur de tangage qui peut ajouter un paramètre de plus… On enfonce ainsi une porte ouverte mais les rapports du BEA montrent que pour des pilotes la différence de comportement de l’appareil dans les deux situations évoquées ci-dessus n’est pas suffisamment prise en compte en amont.
Ils peuvent aussi être trahis par un centrage plus arrière que d’habitude, avec des passagers
à l’arrière par exemple et la réponse de l’appareil sur une action du manche arrière lors de la rotation peut être différente, plus vive et – sans correction rapide du pilote – entraîner une prise d’assiette trop marquée. Si de plus la piste étant courte, le pilote a voulu anticiper la rotation et a agi plus fermement que lors de vols à un centrage plus avant, les effets vont se conjuguer. Une rotation « souple » s’impose pour appréhender la réponse de l’appareil à l’action sur les commandes de vol et rester « dans la boucle » de rétroaction.
Ainsi, la phase de décollage est bien critique. Il faut tout d’abord valider des « portes » (puissance statique minimale obtenue, pas d’alarme et badin actif) permettant de poursuivre
la course au sol, en tenant bien l’axe mais il faut surtout « gérer » la rotation et le début de la montée initiale. Les paramètres sont évolutifs sur une courte période de temps, qu’il s’agisse du couple moteur, de la vitesse et donc de la réactivité des commandes de vol…
Il faut donc bien prendre en compte selon la phase de vol (décollage, atterrissage, remise de gaz en courte finale…) le point où se trouve l’appareil sur le graphique en ouverture, publié par feu l’Institut pour l’amélioration de la sécurité aérienne (IASA). Dans la zone rouge, le vol n’est pas possible sauf à descendre. Dans la zone rose, pour voler de moins en moins vite, il faut
de plus en plus de puissance. Dans la zone verte (premier régime), toute augmentation de puissance entraîne une augmentation de la vitesse. Ces courbes sont valables à une masse donnée. Elles se rapprocheront pogressivement dans le plan vertical avec l’augmentation de la masse de l’appareil, jusqu’à atteindre le plafond maximal, où le taux de montée n’est plus que de 0,50 m/s.
D’où l’intérêt après une rotation souple de laisser l’appareil accélérer pour sortir le plus vite possible de la zone de second régime et atteindre la vitesse recherchée, soit les valeurs préconisées par le constructeur via le manuel de vol, à savoir la Vy (vitesse de meilleur taux
de montée), voire la Vx (vitesse de meilleure pente de montée) si des obstacles doivent être franchis lors de la montée initiale. Cette phase initiale du décollage, de la rotation vers la montée à la vitesse recherchée, se pilote à l’anémomètre mais aussi au manche, avec doigté. Une rotation prématurée est à éviter (graphique de la FAA avec légendes francisées par aeroVFR).

Si après rotation, la vitesse de montée n’est pas rapidement atteinte, il est préférable de faire un palier, voire de suivre une trajectoire très légèrement ascendante pour s’affranchir du sol mais en restant dans l’effet de ce dernier, même s’il y a un obstacle en bout de piste. La prise de vitesse quasiment en palier permettra d’avoir le gain de performance peu avant d’atteindre l’obstacle et de passer au-dessus de ce dernier peut-être à faible hauteur mais avec des marges de sécurité en vitesse, et des gouvernes « vives ». L’erreur serait de vouloir obtenir le gain de hauteur très vite après la rotation, cette action prématurée pouvant mener au second régime et la fin de la trajectoire dans l’obstacle à éviter… ♦♦♦
Illustrations © IASA, FAA
Pour aller plus loin :
– La menace du second régime
– Le second régime de vol et le décollage (avec vidéo)
Rapports du BEA :
– Prise en compte insuffisante de la masse et/ou du centrage, de la longueur de piste
2eRegimeDR400a
2eRegimeGazaile
– Rotation prématurée
2eRegimeCessna
2eRegimeDR400b