
Du vol en montagne sans horizon naturel…
On l’a déjà vu ici, le second régime est une phase du domaine du vol que l’on traverse au décollage et à l’atterrissage, voire en remise de gaz, et qu’il vaut mieux s’en écarter dès que possible car la situation est instable, avec des marges de manoeuvres très faibles ou nulles avec peu ou pas de différentiel entre puissance nécessaire et puissance utile. Mais le phénomène peut aussi être rencontré dans d’autres phases de vol, par exemple sur trajectoire ascendante en région montagneuse. Plusieurs rapports du BEA relatent de telles situations survenues en vol en montagne.
Le scénario typique est un appareil en montée pour aller passer un col. Le pilote peu habitué au vol en montagne ne surveille pas assez sa vitesse indiquée. Il n’a pas d’horizon naturel dans le pare-brise, caché par les massifs montagneux. Voyant le sol se rapprocher progressivement sous l’appareil, inconsciemment, il augmente l’assiette et au fur et à mesure de l’avancée du vol, la vitesse régresse progressivement. Sans s’en rendre compte suffisamment rapidement, le pilote se place en situation de vol au second régime. La conscience de la situation lui a échappé, les perceptions du pilote étant trompées par l’environnement particulier.
Quand il s’aperçoit que la situation devient critique, il est souvent trop tard. La vitesse est déjà faible pour permettre des évolutions avec une marge de sécurité par rapport au décrochage, surtout si la vallée dans laquelle il a cheminé en montée vers un col est devenue de plus en plus étroite, le mettant dans une situation sans issue : incapable de monter plus vite que ne le fait le sol sous lui et incapable de faire demi-tour. Dans le meilleur des cas, il reste à limiter les dégâts en se posant dans la pente. Souvent ce sont les rochers ou la cime des arbres qui sont les derniers décideurs.
Tout ceci résulte de multiples facteurs constituant la chaîne des évenements menant à l’accident, où l’on trouve souvent une faible expérience du vol en montagne, une méconnaissance des spécificités du vol en montagne, une compréhension insuffisante
de la dégradation des performances dues à l’altitude, l’absence de marges de manoeuvre suffisantes pour franchir un col du fait de la trajectoire « frontale » alors qu’une prise d’altitude auparavant, par 360° avec des marges de hauteurs, aurait constitué la solution.
Dans un récent rapport concernant l’accident d’un D-140 Mousquetaire survenu en février
2025 sur le glacier de la Vallée Blanche, le BEA attire l’attention sur « le risque de passage au second régime en région montagneuse ». L’équipage (un pilote, un passager) est parti pour un vol dans le massif du Mont-Blanc. Visant le col du Midi (11.625 ft), le monomoteur grimpe en altitude, passant les 9.800 ft avec 165 km/h de vitesse sol. Puis après, à 10.600 ft, le taux de montée affiche 320 ft/mn mais la vitesse sol est désormais de 155 km/h. En règle approximative, on considère qu’un moteur atmosphérique perd 10% de sa puissance par tranche de 3.000 ft d’altitude, soit plus de 30% pour l’appareil à cet instant (les 180 ch sont devenus 125…). De plus, la réduction de puissance peut être encore plus notable si la richesse du mélange n’a pas été optimisée à la mixture.
Face au pare-brise, la pente du relief s’accentue, pouvant atteindre 20%, valeur incompatible avec un 180 ch, même à des altitudes plus faibles, pente du relief qu’il n’est pas toujours facile à quantifier, surtout si elle est « gommée » par le couvert neigeux. Pour passer un col, il faut prendre des repères au sol et analyser leur déplacement par rapport à son repère capot,
et noter si le repère se déplace vers le bas avant de passer « sous » l’avion, ou si ce dernier ne pourra l’atteindre car le repère se déplace vers le haut dans le pare-brise. C’est comme analyser le point d’aboutissement de la trajectoire en finale.
Quand la vitesse sol est de 130 km/h, le pilote du D140 considère que l’avion ne monte plus comme il le souhaitait, imaginant alors subir une anomalie côté moteur (perte de puissance) alors que les symptômes ressentis (jusqu’à subir peu après un « buffeting » avertisseur d’un décrochage proche) sont bien ceux du vol au second régime. Les performances n’étant pas suffisantes pour passer le col du Midi, renonçant à virer à droite ou à gauche en raison de la proximité du relief, il envisage un atterrissage d’urgence. La vitesse sol décroît à 110 km/h,
puis 90 km/h, le taux de chute augmente et c’est l’impact dans la neige. Les courbes de puissance nécessaire et utile se sont rejointes, le vol stabilisé n’était plus possible. L’appareil était au fond de « l’entonnoir ».

Le BEA précise que les « enquêtes sur les accidents survenus lors de navigations en milieu montagneux ces cinq dernières années ont souvent révélé qu’un passage progressif au second régime de vol, sans détection ou réaction adaptée du pilote, avait contribué à l’accident. Ces accidents concernaient en grande partie des pilotes de plaine, ayant une connaissance et une expérience limitées du vol en milieu montagneux ». Mais le BEA précise que l’accident du D140 évoqué ci-dessus montre aussi « qu’un pilote ayant suivi une formation dans un aéro-club spécialisé au vol en montagne peut également se retrouver confronté à cette situation ».
Le BEA, suite à divers échanges au sein de la communauté aéronautique, note que « l’enseignement du second régime de vol, tant en théorique qu’en pratique, diffère selon les aéro-clubs. Le concept est, en général, uniquement abordé dans l’apprentissage du vol lent, en palier, lors de la formation initiale au brevet de pilote privé. Ainsi, les risques de passage au second régime en vol en montagne ne semblent pas suffisamment connus de certains pilotes, notamment ceux habitués à voler en plaine ».
Que dire de plus ? Voler dans les montagnes ne s’improvise pas. Les conditions de vol sont différentes de celles de la plaine, les phénomènes météorologiques peuvent être accentués (effets du vent avec le relief notamment), les performances sont dégradées par l’altitude (en hiver) et aussi par la température (en été), avec la nécessité de prendre en compte l’altitude-densité.
Avec moins de références visuelles (l’horizon naturel peut être totalement absent), le contrôle de la trajectoire devient plus exigeant en région montagneuse, avec le contrôle de l’assiette et de la vitesse indiquée à surveiller de très près. La règle de base est aussi d’avoir toujours une porte de sortie, d’où la nécessité de ne jamais cheminer au milieu d’une vallée mais le long d’un côté pour se réserver la possibilité d’un demi-tour. D’où le passage aussi d’un col toujours selon une trajectoire oblique pour pouvoir dégager d’un côté ou de l’autre si besoin, et ce au dernier moment.
Or, on lit encore trop de rapports où l’appareil s’est présenté sur trajectoire rectiligne, face au col envisagé, avec une pente du sol (15 à 25%) totalement incompatible avec les faibles pentes de montée offertes par nos aéronefs légers (5 à 7% tout au plus). C’est souvent l’absence d’une préparation suffisante du vol pour noter le dénivellé ou encore la fausse confiance à suivre un autre équipage, tels les accidents survenus en 2021 à un Cirrus SR20 et un Cessna F172H au col de Vars, à quelques heures d’intervalle mais lors d’un vol en groupe. On notera au passage que le col de Vars, à près de 7.000 ft d’altitude, permettant de relier en direct l’aérodrome de Barcellonnette (vallée de l’Ubaye) et celui de Saint-Crépin/Montdauphin (vallée de la Durance), est souvent cité dans des accidents… ♦♦♦
Illustrations © IASA, BEA
Pour aller plus loin :
– Les dangers du vol en montagne
– Sensibilisation au vol en région montagneuse
Rapports du BEA sur le sujet :
– Passage au second régime avant un col
D140Megeve
DR400Albertville
D140Grenoble
DR400Glandon
– La problématique du col de Vars
F172NetVars
CirrusF172HetVars