Des limites physiologiques de l’organisme humain sous facteur de charge positif soutenu.
Le 16 août 2024, un CM-170 Fouga Magister s’écrasait en Méditerranée, au large de Bormes-les-Mimosas alors que son pilote effectuait une présentation au-dessus de la mer dans le cadre d’une manifestation aérienne. Ces derniers jours, le BEA a publié le rapport d’enquête mettant en avant comme cause « l’incapacité du pilote sous facteur de charge positif ».
Dans les facteurs contributifs à l’incapacité du pilote sous facteur de charge positif cités en conclusion, le BEA mentionne :
– la réalisation d’un virage serré pour ne pas dépasser l’axe de présentation. La veille, lors de la répétition, le pilote avait mentionné des difficultés de visualisation de l’axe indiqué par des balises de couleur rouge, peu visibles. Il avait dû serrer une manoeuvre à +5 g pour ne pas overshooter l’axe. Il faut répéter qu’il est préférable de déborder l’axe que de vouloir trop serrer aux risques d’une perte de contrôle, d’un voile noir ou d’un décrochage dynamique.
– de multiples facteurs physiologiques dont notamment les effets de la chaleur, la fatigue, l’état de santé (toux mais sans autre symptôme), une habituation cardiovasculaire faible (peu d’heures de vol en 2024 sur l’avion et aussi une faible expérience récente pour des présentations au-dessus de la mer) et l’état de jeûne relatif.
– un probable manque de connaissances des risques liés aux facteurs de charge positifs au G-Loc ainsi qu’à la possible absence de pratique des manoeuvres respiratoires anti-g. Ceci bien que le pilote soit un ancien pilote de chasse, ayant notamment volé sur Fouga Magister, mais il avait quitté l’armée de l’Air et de l’Espace « à une époque où ces manoeuvres respiratoires n’étaient pas approfondies et où les effets du facteur de charge, du jolt, et notamment le risque de G-Loc n’étaient pas suffisamment pris en compte ».
D’où les « annexes » du rapport du BEA concernant les pertes de connaissance (G-Loc), avec notamment les liens vers d’autres rapports d’enquête montrant que « les risques liés au facteur de charge étaient insuffisamment connus des personnels navigants » de l’armée de l’Air et de l’Espace et que cette « connaissance parcellaire s’accompagnait d’une pratique partielle et essentiellement théorique des manoeuvres respiratoires anti-g ».
D’où les rappels pédagogiques du BEA sur les facteurs de charge dont une synthèse est proposée ci-dessous. En effet, « le risque majeur de l’exposition aux accélérations positives de longue durée (supérieures à 5 secondes) est celui de l’altération de conscience sous facteur de charge, qui est lié à la fois à l’intensité de l’accélération, au taux de mise en accélération (jolt) et aux circonstances qui, pendant le vol, ont précédé la phase d’accélération ».
En d’autres termes, il y a l’accélération proprement dite (les g) à prendre en compte mais aussi la rapidité à laquelle on subit cette accélération, d’où la notion de jolt ou accélération de… l’accélération (g/s). Il est aisé de prendre 4 g sur une durée de 4 secondes, beaucoup moins sur une période de 1 seconde. La durée de maintien de l’accélération rentre également en compte. Une boucle en Cap-10 nécessite 3,5 à 4 g à l’attaque de la figure mais cette accélération est très courte, contrairement à une boucle effectuée dans un avion à réaction qui pourra conserver ces 4 g pendant quasiment toute la première partie de la boucle… d’où la mention par le BEA d’une durée de plus de 5 secondes qui change la donne.
En fonction de l’accélération et du jolt subis, « l’altération de conscience revêt des caractères d’apparition ou d’évolution multiples », avec notamment deux types d’altérations de conscience les plus critiques :
– A-Loc (Almost loss of consciousness) : « Altération plus ou moins profonde de la conscience au cours de laquelle le pilote est dans l’incapacité d’agir de façon cohérente et adaptée sur les commandes. Cela se traduit par l’apparition d’un état de confusion, associant un certain degré de désorientation spatiale et des troubles du jugement. Sous une forme et un niveau de gravité variables, le pilote est partiellement conscient, hébété, capable d’entendre et de voir, mais incapable d’agir ou du moins d’agir avec pertinence ».
– G-Loc (G-induced Loss of consciousness) : « Perte de connaissance, responsable d’une incapacité brutale et totale du pilote ».
Qu’il s’agisse d’A-Loc ou G-Loc, la mémoire est altérée et à l’issue de tels phénomènes, les pilotes ne gardent généralement aucun souvenir des troubles subis. Sous facteur de charge positif, le sang se déplaçant de la tête vers les pieds, selon l’augmentation de l’intensité et de la durée d’exposition, les phénomènes suivants sont rencontrés, bien que le pilote ait les yeux ouverts :
– voile gris : il s’agit d’un « rétrécissement du champ visuel et/ou flou visuel et/ou diminution de la vision des couleurs et/ou assombrissement ». En relâchant la pression sur le manche, le pilote regagne la vue « normale ».
– Voile noir : « perte complète de la vision, conscience et ouïe conservées ». Le champ visuel se rétrécit de plus en plus jusqu’à devenir totalement inexistant. Le pilote a les yeux ouverts mais ne voit rien. Là encore, en diminuant l’accélération, le système cardiovasculaire reprend son rythme et la vue revient.
– A-Loc : « altération plus ou moins profonde de la conscience ».
– G-Loc : « perte de connaissance » ou coma… On a souvenir d’accidents survenus à des pilotes militaires volant sur des avions à commandes de vol électriques, très réactifs, pouvant subir des g et surtout des jolts supérieurs à ceux pouvant être encaissés par l’organisme humain. N’ayant pas eu le temps de ressentir la forte montée en accélération, les pilotes étaient passés directement en G-Loc sans avoir eu le temps de noter les voiles gris puis noir. D’où des appareils allant percuter le sol sur une trajectoire stable, sans la moindre intervention du pilote autour des 3 axes, sauf quelques « vibrations » en roulis dues à des décharges électriques du cerveau.
Point que précise le rapport du BEA en indiquant que « les états intermédiaires de voile gris et de voile noir n’apparaissent toutefois que si le taux de mise en accélération est progressif (valeurs du jolt faibles) car « si l’accélération est réalisée trop rapidement, elle ne permet pas d’adaptation cardiovasculaire réflexe ». Pour un pilote de voltige dite « moderne », avec en compétition de haut niveau, des programmes avec +8/-6 g et des évolutions « carrées », le coeur est fortement sollicité et de tels phénomènes peuvent être subis.
Sous facteur de charge positif, le sang veut partir dans les extrémités des membres, en irriguant moins le cerveau et le coeur doit « pomper » pour corriger les effets. Si le facteur de charge est négatif, le sang reflue vers le cerveau (voile rouge) et le coeur doit « ralentir ». On imagine qu’une figure faisant passer de +8 g à l’attaque à -6 g en sortie, avec un différentiel de 14 g et des jolts importants, le coeur a fort à faire.
D’où la représentation schématique de la tolérance aux facteurs de charge sans dispositif anti-g (diagramme de Stoll, datant de… 1956).
Ce diagramme reste schématique car les tolérances sont variables d’un pilote à l’autre et même pour un même pilote, en fonction de son gabarit, son âge, son état de santé, sa fatigue, sa dette de sommeil, sa déshydratation, sa condition physique (ni trop ni pas assez), son alimentation (ni trop ni pas assez), sa prise de différents produits (alcool, médicaments), sa pratique régulière de la voltige, l’absence de manoeuvres respiratoires anti-g.
La morphologie intervient avec la hauteur la plus faible possible entre cerveau et coeur, d’où une tolérance accrue pour des pilotes de petite taille et l’intérêt d’un siège incliné (Rafale) pour diminuer la hauteur coeur-cerveau. Avec l’âge, les artères sont plus fermes… En début de saison, une augmentation progressive des accélérations subies est nécessaire pour retrouver une accoutumance après une coupure hivernale… Eric Müller, pilote de voltige de haut-niveau aujourd’hui disparu, évoquait l’éclatement de faibles vaisseaux sanguins dans le blanc des yeux comme indicateur des limites en début de saison de voltige.
Le BEA évoque « l’une des manoeuvres respiratoires anti-g considérée comme l’une des plus efficaces ». Elle « consiste en un blocage respiratoire (Valsalva) maintenu idéalement entre 2,5 et 3 secondes associé aux contractions musculaires (abdominaux, fessiers, quadriceps, ischiojambiers et mollets), suivi d’une phase de vidange expiratoire puis d’une inspiration profonde de moins d’une seconde et associée à une décontraction musculaire lors des figures sous facteur de charge positif ».
Ainsi, ces « manoeuvres respiratoires anti-g sont destinées à augmenter la pression intrathoracique pour maintenir au niveau du cerveau une pression sanguine suffisante pour permettre les échanges gazeux tout en évitant une réponse vagale exagérée. Les manoeuvres lorsqu’elles sont correctement réalisées peuvent apporter un gain de tolérance de l’ordre de… 4 g ». Et le rapport du BEA de préciser que « selon des pilotes qualifiés voltige, des pilotes de présentation et le médecin aéronautique référent voltige de la FFA, les risques de G-Loc sont, de manière générale, insuffisamment connus des pratiquants dans le milieu civil » et qu’il faut donc « sensibiliser les pilotes pratiquant la voltige sur la dangerosité de certaines évolutions qui peuvent amener aux limites physiologiques du corps humain ».
D’où la mise en place par le passé par la FFA d’un groupe spécifique d’échanges et de réflexion sur le sujet, avec des actions de formation et de recyclage sur le sujet notamment vers les instructeurs voltige, et la diffusion de documents de sécurité relatifs à l’activité dont notamment l’affiche « Les 10 commandements du voltigeur« .
Et pour revenir au rapport d’accident du Fouga Magister, le BEA a conclu que le pilote, pour revenir sur l’axe de présentation, a serré le virage. « Cette manoeuvre en descente a accru le facteur de charge jusqu’à environ +5 g pendant une dizaine de secondes, avec un pic probable à une valeur plus élevée ». Aussi, le « pilote a très probablement subi un phénomène d’altération de conscience (A-Loc), voire perdu connaissance sous l’influence de l’accélération positive subie (G-Loc) au cours de la manoeuvre. La hauteur de vol, d’environ 400 ft, n’a pas permis au pilote de retrouver ses capacités ». ♦♦♦
Photo © DR.
Rapport du BEA en téléchargement ci-dessous :
GLocFouga