Ou comment être pilote et marin à la fois…
Après le LAPL/PPL, différents axes de perfectionnement ou de découverte d’autres formes
de pilotage s’ouvrent. Il faut évoquer entre autres la voltige, le VFR de nuit, la pratique du train classique, le vol Montagne, le vol en formation et aussi l’hydraviation. C’est en 1910 que le premier hydravion a décollé depuis l’étang de Berre, avec Henri Fabre. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la domination du transport commercial par des avions terrestres, la pratique de l’hydravion a été laminée mais dans le domaine de l’aviation générale, elle est toujours présente…
Certes elle est beaucoup plus développée aux Etats-Unis ou au Canada mais en France, qu’il s’agisse d’avions certifiés ou d’ULM, des sites d’activité peuvent se trouver dans plusieurs régions, du Morbihan au Cantal, de la Loire-Atlantique à l’Aveyron, de la Vendée à la Nouvelle Calédonie ou la Guadeloupe. Il est ainsi possible de passer la qualification pour découvrir
une autre forme de vol.
Comme toute qualification de classe, la SEP (Sea) nécessitera une formation théorique et pratique, comme la SEP (Land) terrestre. La théorie s’intéressera évidemment aux différences par rapport à un avion terrestre, avec ses spécificités d’être à la fois avion et bateau, entre aérodynamique et hydrodynamique mais aussi la réglementation (pilote, machine, hydrobases et hydrosurfaces), les connaissances liées au milieu aquatique (courants, marées, matériel
de sécurité, signaux en zone maritime et fluviale…), la technologie (flotteurs, safrans…).
La partie pratique s’intéressera avant tout aux opérations sur l’eau, au déjaugeage et à l’amerrissage, soit les phases se démarquant de l’avion terrestre, sachant que le minimum réglementaire pour le titulaire d’une SEP terrestre est de 8 heures de formation avant un test final. Mais tout commence dès la prévol et selon le type d’hydravion, à coque ou à flotteurs. Les hydravions à coque certifiés sont peu nombreux, avec leurs particularités : l’axe moteur étant généralement surélevé pour éviter les embruns, des couples piqueur (à la mise de gaz) et cabreur (à la réduction de puissance) sont notables. Avec une large voie du train principal rétractable, les sorties d’un plan d’eau sont peu nombreuses car les slips prévus pour les bateaux ont généralement une largeur plus faible. Ce problème ne concerne pas les ULM
à coque.
Pour l’avion, c’est ainsi essentiellement des appareils à flotteurs que l’on trouve soit en version « straight » (flotteurs uniquement), soit de type amphibie (train rentrant en complément
des flotteurs). Les flotteurs constituent le « coeur » d’un hydravion, avec une conception faisant appel à plusieurs compartiments pour étaler les risques en cas de dommages et assurer la flottabilité. La partie la plus notable demeure le redan, un peu en arrière du centre de gravité, ce décrochement de la partie basse du flotteur permettant à l’arrière des flotteurs de sortir de l’eau pour diminuer la traînée hydrodynamique. La forme en coupe d’un flotteur est celle d’un bateau, avec différentes « bavettes » pour éviter notamment les projections sur l’hélice.
La visite prévol, au-delà de la partie « terrestre » de l’appareil, consiste à vérifier l’état des flotteurs, les différents mats et câbles les reliant à la cellule et devant supporter les efforts
au déjaugeage et à l’atterrissage. Une pompe à main permet d’extraire des différents compartiments quelques faibles quantités d’eau pouvant avoir été embarquées lors des
vols précédents.
Le bon fonctionnement des safrans, à l’arrière des flotteurs pour permettre de se diriger sur l’eau, complète les vérifications. Doivent être présentes différentes cordes pendant à l’intrados de l’aile, ou stockées près des mats pour pouvoir s’amarrer à une bouée ou à un ponton, ou tenir l’hydravion à la main depuis un quai. On vérifiera ainsi la présence extérieure d’outils pouvant être utiles : gaffe, pagaies… À l’avant, reliant les deux flotteurs, un câble permet
– moteur à l’arrêt – de faire du funambulisme pour passer d’un bord à l’autre de l’appareil si
la sortie ne peut se faire que d’un côté.
L’amphi-cabine portera essentiellement sur l’usage des roues, une menace sur un appareil amphibie. La poignée de train rentrant est accompagnée de deux paquets de lumières. Quatre concernent le train terrestre, avec les roues sorties. Quatre autres confirment les roues bien rentrées pour utiliser les flotteurs. Le risque étant grand d’une erreur – le passage sur le dos est assuré sur l’eau si les roues n’ont pas été rétractées – plusieurs sécurités sont prévues.
Il y a tout d’abord des témoins mécaniques sur le haut des flotteurs indiquant visuellement la position Down ou Up.
Sur chaque pointe latérale de flotteur, un miroir permet de vérifier la bonne rétraction des roues avant, pivotant vers le haut et l’avant avant de se rétracter dans le flotteur. De plus,
en configuration atterrissage (volets abaissés et faible puissance, soit en finale), une voix confirme le statut « terrestre » ou « aquatique » de l’appareil, avec une voix féminine pour
l’un, une voix masculine pour l’autre.
Sur le Piper Super Cub (180 ch) de ce reportage, effectué à partir de l’aérodrome de Saint-Flour, la marche est haute pour accéder au cockpit mais un décrochement dans le flotteur facilite la montée. Auparavant, un gilet de sauvetage aura été endossé. Mise en route et roulage avec un appareil à… quatre roues, les deux principales pouvant être freinées, les deux roues avant étant folles. Contrairement à un appareil à train classique et l’effet girouette pouvant le faire virer au vent, sur amphibie, la tendance est plutôt à partir sous le vent, avec les roues avant non directionnelles. La trajectoire est donc contrôlée aux freins.
Alignement et décollage sans remarque particulière, le train étant rentré après décollage
pour diminuer la traînée et préparer l’arrivée sur le lac de Sarrans, une portion de la rivière Truyère, offrant plusieurs axes grâce à un barrage augmentant localement la largeur de la rivière. L’arrivée sur site se rapproche beaucoup de la philosophie du vol en montagne, notamment sur altisurface, avec une reconnaissance du site pour noter différents paramètres : la luminosité, l’état de surface de l’eau (courant, vagues), la force et la direction du vent, la présence de bateaux et/ou d’obstacles, la trajectoire de finale mais aussi celle de redécollage ou vers le point de stationnement. Décision étant prise de poursuivre, il faut remonter pour faire un tour de piste avant de s’aligner sur le lac.
Le briefing avant vol avait pointé l’importance de l’assiette à maintenir constante pendant la finale, en contrôlant sa vitesse aux gaz. Le point d’aboutissement peut-être défini par un repère latéral sur la berge mais la « piste » n’est pas limitative. Le touché est doux, le lac étant absolument calme. Au-delà d’un clapot de 20 à 30 cm, décision serait pris de ne pas poser car aux environs de 100 km/h au touché, l’eau devient alors du béton au-delà de ces valeurs… Sans laisser décélérer l’appareil, un surplus de puissance permet de « taxier » sur le « step » (redan) tout en pouvant orienter la trajectoire. Si l’on veut s’arrêter, régime moteur totalement réduit, manche arrière et l’appareil s’arrête très rapidement avec l’arrière des flotteurs s’enfonçant dans l’eau.
Le ralenti moteur a volontairement été réglé vraiment au minimum, au point de voir le moteur caler si on réduit à fond à faible vitesse. Ce faible régime permet des évolutions à basse vitesse sur l’eau pour rejoindre un ponton ou une bouée, voire une plage car comme sur skis en montagne, sur flotteurs, il n’y a pas de freins… Auparavant, on aura décroché un câble suspendu à la base du tableau de bord, permettant de plonger les deux safrans dans l’eau. Porte ouverte, debout sur un flotteur, moteur coupé pour poursuivre sur l’ère, la gaffe en main pour accrocher une bouée puis s’y amarrer au moyen d’une corde, il faudra attendre ensuite un pédalo permettant de rejoindre le sol à sec… et se retrouver ainsi dans la nature, amphibie au mouillage.
Au décollage, après avoir rejoint le point d’alignement souhaité et remonté les safrans, la mise de gaz est effectuée, manche arrière, nez dans le ciel. Une vague se forme alors depuis la pointe avant des flotteurs. Au fur et à mesure que l’appareil prend de la vitesse, elle va reculer, renseignant ainsi le pilote sur la vitesse de l’amphibie et donnant le « feu vert » pour passer
sur le redan. Ceci est effectué avec un peu de manche avant pour « monter » sur la vague, dégager ainsi l’arrière des flotteurs de l’eau et diminuer la traînée hydrodynamique nettement plus élevée que la traînée aérodynamique. Là encore, le maître mot reste « assiette ».
On peut accélérer le déjaugeage en soulevant l’un des deux flotteurs…
Deux « tours de lac » ne peuvent permettre d’avoir fait le tour de la question… Il reste de nombreux points à voir, des décollages et amerrissages par vent de travers ou sur plan d’eau type « miroir » rendant difficile l’évaluation de la hauteur (c’est comparable au « white out »
sur neige) aux évolutions sur l’eau par vent soutenu, demi-tours compris, ou des opérations
sur plan d’eau agité mais aussi la pratique de plusieurs sites aux caractéristiques différentes.
Bref, au final, il faudra raisonner à la fois comme un pilote et un marin… ♦♦♦
Photos © F. Besse / aeroVFR.com
Illustrations © FAA
Pour aller plus loin :
– le site de l’Association française d’hydraviation (AFH)
https://www.association-francaise-hydraviation.fr
– DTO à Saint-Flour. Contact : Henri Hermabessière via h.hmb@orange.fr
– Le pilotage des hydravions, par Cesare Baj, Baj Books
– La pratique de l’hydravion, par J.-F. Lecomte et J. J. Frey. Ed. Sees