Des carters neufs de technologie moderne pour des Renault 4PO5 afin de redonner du potentiel moteur aux Stampe SV-4.
Co-propriétaires d’un Stampe (F-BCQB), avec un moteur Renault 4PO5 totalisant plus de 2.100 heures depuis sa mise en service et plus de 950 h depuis la dernière RG, Laurent Stuck a pris conscience qu’il faudrait un jour préparer son remplacement. Or, les carters moteur 4PO en état convenable totalisent tous plusieurs milliers d’heures de fonctionnement. Si l’on prend en compte « les caractéristiques de résistance à la fatigue des alliages d’aluminium soumis à des charges cycliques », ces carters sont « inexorablement en fin de vie et le risque de défaillance est élevé et le sera de plus en plus ».
De plus, les « expertises métallurgiques menées sur ces pièces d’origine montrent une grande quantité d’impuretés et des qualités mécaniques faibles. Il n’y a quasiment plus, sur le marché d’occasion, de carters dans un état satisfaisant. Leur réparation par soudure telle qu’elle
pourrait être réalisée conduit à altérer localement les caractéristiques métallurgiques et reporte le problème dans d’autres zones de la pièce ».
Ce constat ayant été fait, il fallait trouver une solution en imaginant pouvoir « tirer beaucoup d’avantages en matière de solidité, de fiabilité et de longévité, de l’usage d’un alliage moderne, mis en oeuvre par des procédés industriels au cours desquels la métallurgie est parfaitement maitrisée ». D’où le projet de réaliser… un carter neuf pour Renault 4PO5, idée portée par Laurent Stuck, ingénieur-pilote de ligne et avec « la coopération amicale et enthousiaste » de Jacques Rogemont, spécialiste du Renault 4PO depuis 1957 avec une longue expérience de mécanicien aéronautique.
Le projet est ainsi vite devenu « de restaurer les moteurs Renault avec l’objectif d’améliorer la fiabilité, la longévité, la facilité d’entretien, l’étanchéité à l’huile tout en respectant la conception et les performances d’origine, pour que le Stampe reste ce qu’il est » précise Laurent Stuck. D’où la création par ce dernier de la société Vint’air (Pau) en 2005 pour réaliser des blocs moteur de Renault 4PO5, tout en bénéficiant des conseils et de l’atelier de Jacques Rogemont avec fraiseuse, aléseuse en ligne et aléseuse à bielles.
Pour bénéficier de moyens techniques à la hauteur du projet, Vint’air a fait appel aux compétences de Ventana, société travaillant dans le domaine aéronautique et bénéficiant de moyens techniques permettant « de produire rapidement des pièces de fonderie devenues rares, sans outillages couteux. Le processus est intégralement numérique, de la conception à la coulée puis l’usinage de la pièce ». Les compétences de Ventana, sous-traitant en mécanique de précision, vont de la rétro-conception à la fonderie numérique en passant par la chaudronnerie.
Les principales étapes de la réalisation d’une nouvelle pièce sont les suivantes :
– Numérisation d’une pièce d’origine : par acquisition optique par la société Tomoadour, la pièce est numérisée, avec une précision de l’ordre de 0.01 mm, le tout complété d’une radiographie intégrale. On obtient un fichier 3D offrant une métrologie précise de la pièce.
– Elaboration en CAO et plan de fabrication : la numérisation permet l’élaboration d’une conception assistée par ordinateur (CAO) directement exploitable en fabrication.
– Analyse de la composition de l’alliage et choix du matériau : la composition de la pièce originale est déterminée précisément avec un spectromètre de masse. « Des éprouvettes de traction sont prélevées et analysées. Une fois connues les caractéristiques du métal d’origine, il est possible de choisir un alliage aux qualités nettement supérieures (résistance mécanique quatre fois plus élevée). La température de fonctionnement a été mesurée lors d’essais sur un moteur d’origine, pour garantir le respect des limitations de l’alliage choisi ».
– Simulation de fonderie : la CAO est exploitée pour l’étude du moule de fonderie. « Un outil de simulation de dernière génération permet d’anticiper l’écoulement
du métal en fusion, les retraits et gradients thermiques, et de diminuer ainsi le nombre des essais. Les coûts et délais d’industrialisation sont drastiquement réduits ».
– Fabrication du moule : ce dernier est du type moule perdu en sable. Il est « imprimé » par la machine d’impression 3D. « Chaque couche de sable est déposée, puis polymérisée pour obtenir les formes du moule. L’ensemble est ensuite débarrassé du sable non durci, puis « remoulé » (les pièces constituant le moule sont assemblées). Un moule perdu à usage unique est ainsi constitué ».
– Coulée de la pièce : les « espaces laissés dans le moule en sable sont remplacés par le métal en fusion introduit par de nombreux conduits, sur un système de coulée par basse pression. Une fois refroidie, la pièce est débarrassée du sable par grenaillage. Sa géométrie est ensuite contrôlée par un scan laser de la pièce réelle, qui est informatiquement comparé à la forme théorique. Cette opération permet aussi de « balancer » l’usinage (positionner les points de départ des usinages). Le traitement thermique confère ses caractéristiques mécaniques à l’alliage d’aluminium ».
– Contrôle de la fonderie : une radiographie de la pièce obtenue « permet de vérifier l’absence de défauts noyés dans l’épaisseur du métal. Le carter subit également un contrôle par ressuage (recherche de criques) et des éprouvettes de traction permettent de s’assurer de la résistance mécanique de la pièce ». Ces contrôles sont identiques à ceux effectué pour les fonderies des carters de réacteurs actuellement produits par Ventana.
– Usinage : toujours dans un processus intégralement informatisé, le modèle CAO est utilisé pour « programmer le centre d’usinage sur lequel les usinages sont réalisés avec une grande précision, en quelques heures. Pour assurer une concentricité optimale des paliers de vilebrequin et d’arbre à cames, leur alésage est réalisé sur une aléseuse en ligne ».
– Montage-finition : une fois usiné, le « carter peut recevoir toutes les pièces rapportées (goujons, paliers frettés d’arbre à cames, guides de poussoir, helicoils). Certaines de ces pièces sont montées à chaud, avec un serrage contrôlé garantissant leur maintien en place aux températures de fonctionnement. La ligne de paliers est ensuite alésée, avec les chapeaux de palier en place, avec une grande précision (0.01 mm) sur une aléseuse en ligne dédiée à cette tâche ».
Pour Vint’air, « cette fabrication s’inscrit dans un projet global visant à monter un moteur Renault 4PO5 dont la longévité et la fiabilité s’approcheraient des moteurs plus récents ». Une substitution de matériaux plus résistants au niveau des des paliers sera permise par « une
remise à la cote du vilebrequin (dépôt de grande dureté) et une filtration d’huile optimisée.
Les cylindres ont également été rectifiés puis remis à la cote d’origine par un dépôt type nickel–céramique. D’autres utilisations de matériaux modernes sont à l’étude pour améliorer la longévité du Renault ».
A noter que toute la rétro-conception (CAO, choix technologique, dossier DGAC) a été assurée par Laurent Stuck au sein de Vint’air. Avec l’idée qu’il existe des marchés de niche pour ce type de prestation (pièces pour warbirds, voitures ou motos de collection) et à la demande de Ventana pour « structurer l’offre tournée vers les collectonneurs et les atelierrs de restauration », Vint’air a été créée.
Pour le projet de carter pour Stampe, Vint’air a assuré ainsi la conception, la responsabilité technique, la préparation du dossier de fabrication (plans, tolérances, specifications techniques), l’usinage de la ligne d’arbre principale et de la ligne d’arbre à cames, l’approvisionnement et le montage de tous les éléments rapportés (helicoils, bagues frettées, goujons), Ventana réalisant ensuite les bruts de fonderie et les autres usinages.
Refabriquer coûtant cher, Vint’Air n’a prévu de lancer « des fabrications neuves que lorsqu’il y a pénurie ou s’il y a une amélioration du point de vue des objectifs cités ci-dessus ». Sont utilisés « des stocks de pièces neuves d’époque et les techniques modernes de reconditionnement des pièces usées, qui ont le double avantage d’être économiques et d’améliorer les caractéristiques des pièces ».
Ainsi au cas par cas, il est fait appel au « chromage dur, au dépôt nickel-céramique, à la reconstruction par soudure et d’autres traitements de surface innovants qui permettent de remettre les pièces aux cotes d’origine en améliorant leur résistance à l’usure et parfois les coefficients de frottement ». L’utilisation de ces techniques sera « particulièrement appréciable sur les vilebrequins et cylindres, pièces qui seraient très coûteuses à refaire » avec un « bond technologique de 50 ans sur les coussinets de palier et de bielle ».
Pour l’heure, un carter supérieur de 4PO5 en magnésium a été produit – « une pièce devenue introuvable ». Le premier carter réalisé est encore à l’atelier. « La prochaine étape est l’alésage de la ligne d’arbre et de l’arbre à came », avec un problème de vibration rencontré lors de l’usinage durant les premiers essais. La raison est « une portée trop grande entre les guides d’alésage » d’où la conception de « bras d’alésage capables de maintenir la barre à l’intérieur du carter. Ces bras en fonte sont en cours de fabrication chez un fondeur du centre de la France » avec une réception prévue début 2017.
Début 2017, l’ensemble des pièces sera prêt pour l’assemblage final. Ce projet étant mené en plus d’une activité de pilote de ligne, un calendrier précis reste difficile à établir mais, « idéalement », il est prévu d’assembler le moteur et de le passer au banc au premier semestre 2017, pour 20 à 30 heures de fonctionnement avant contrôle.
Sur la base de ces résultats, il faudra obtenir l’accord des services officiels pour mener les essais en vol sur le Stampe. Les essais en vol sont prévus au second semestre 2017. Pour les vols, ce sera avec un second carter déjà réalisé car le premier, datant de 2015, a été utilisé dans de multiples expositions et a été endommagé durant le transport… Le projet de Vint’air a en effet déjà été présenté officiellement, notamment lors du meeting de La Ferté-Alais en 2015 et 2016, au Nogaro Classic en 2015, au Goodwood Festival en 2015 et à l’AirVenture à Oshkosh, en 2016…
A l’issue de ce programme d’essais en vol, il sera alors possible « d’envisager pouvoir répondre à la demande des Stampistes qui souhaiteraient bénéficier du fruit de ces travaux », précise Laurent Stuck. Si Vint’air est satisfaite des résultats obtenus, une « restauration haut de gamme incluant toutes les innovations et le carter neuf si nécessaire » sera alors proposée. L’objectif est de « sortir des moteurs dont la durée de vie approche les 1.500 h entre révisions générales ».
Il faudrait « réunir une dizaine de pièces pour arriver à un prix de l’ordre de 7.900 € HT », montant à comparer avec « une remotorisation peu fidèle et coûteuse (environ 35.000 € pour une conversion Lycoming) ». Ces pièces auront « probablement une durée de vie de plus de 70 ans, au vu des améliorations des matériaux et des performances des originaux ».
Laurent Stuck précise que cette première évaluation financière est « un coût de production et que les études (rétro-conception, conception des moules et programmes d’usinage) ne sont pas inclues et ne seront pas facturées sur la première série pour en favoriser la diffusion ». Dossier à suivre donc… ♦♦♦
Photos © Vintair
flyingairy dit
Des initiatives en ce sens ne peuvent qu’être encouragées, c’est la sécurité des vols et l’avenir en vol de nos vieilles gloires qui seront reconnaissantes!! En revanche, pour un article à vocation « technique », employer le mot « solidité » à tort est dommage, le bon mot aurait été ici « robustesse », la solidité caractérisant l’état de la matière (solide/liquide/gaz)…c’est hélas une acception de vocabulaire souvent rencontrée et rarement corrigée par les enseignants…hormis lorsqu’on aborde des études en filières technique ou scientifique, c’est dommage… Mais celà n’enlève en rien tout l’intérêt qu’auront ces beaux carters tout neufs et re-conçus avec les moyens technologiques actuels. Il faudrait en faire de même avec bien d’autres pièces pour bien d’autres machines.