Vers un Brexit aéronautique fin 2020.
Lors d’un entretien réalisé ces 6 mars pour le compte de la revue américaine Aviation Week, le ministre des Transports britannique, Grant Shapps, a précisé que le Royaume Uni allait « se retirer de l’EASA après une période de transition et transférer la responsabilité de la certification des aéronefs et de la réglementation en matière de sécurité à sa propre autorité de l’aviation civile (CAA) ».
Le ministre a précisé au passage qu’une grande partie de l’expertise jusqu’alors présente au sein de l’EASA était d’origine… britannique. Il est vrai que dans de nombreuses négociations, langue anglaise aidant, les Britanniques ont pu mener les débats avec un certain avantage pour orienter parfois la réglementation européenne. On notera aussi que c’est grâce aux Anglais de l’IAOPA-Europe que le statut d’ATO (Approved Training Organisation) – notamment prévu pour être imposé à tous les aéro-clubs en France, merci de ne pas l’oublier ! – a été renvoyé dans les tiroirs avant de proposer, trois ans plus tard, le statut plus « allégé » de DTO (Declared Training Organisation).
L’aviation n’étant qu’une partie du dossier à négocier entre le Royaume Uni et l’Union européenne à Bruxelles, la séparation est programmée au 31 décembre 2020 quand la législation européenne – sauf prolongation temporaire de deux ans maximum pour raisons techniques et avec une décision à prendre avant le 1er juillet 2020 – ne s’appliquera plus outre-Manche, soit un an après le retrait du Royaume Uni de l’Union européenne le 31 janvier dernier. Durant cette année de transition, les représentants de la CAA à l’EASA (Cologne) ne peuvent participer à des travaux d’élaboration réglementaire ou prendre des décisions.
Le Royaume Uni est ainsi devenu un « pays tiers » dans la réglementation EASA. Il a été précisé durant l’entretien que l’EASA avait lancé une procédure d’infraction contre le Royaume Uni car le pays n’a pas mis en pratique les règles européennes normalisées en matière de visibilité et des minimas nuageux en classe d’espace aérien D. Mais le Royaume Uni se considère comme une nation indépendante désormais et n’accepte donc pas d’être soumis à un règlement européen.
Jusqu’à présent, la politique du gouvernement britannique semblait être d’essayer de rester un État participant à l’EASA, comme la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein. Le Royaume Uni aurait ainsi conservé une participation technique à l’évolution réglementaire avec un siège au conseil d’administration de l’EASA, mais sans droit de vote. Mais le Royaume Uni aurait alors été dans l’obligation d’appliquer les règlements EASA dans le droit britannique, ce qui va à l’encontre du discours de son gouvernement lors des négociations globales en cours avec l’Union européenne.
La CAA devra donc remettre en place un système de certification pour les matériels et de délivrance et de contrôle des licences aéronautiques, et ce de « manière progressive » a précisé Grant Shapps. Il faudra ensuite au Royaume Uni chercher à obtenir des reconnaissances mutuelles sous la forme d’accords bilatéraux avec d’autres pays. La CAA pourra dans ce cadre retenir des concepts limités à l’espace aérien intérieur car ne répondant pas forcément aux exigences de l’OACI.
Le groupement britannique des industriels de l’aéronautique, équivalent au Gifas pour la France, a réagi en rappelant que le maintien du Royaume Uni au sein de l’EASA demeure la meilleure solution pour maintenir la compétitivité du secteur évalué à 36 milliards de livres Sterling et garder un accès au marché mondial pour les 1.100 sociétés britanniques (110.000 employés) concernées dans les secteurs de l’aérospatiale, de la défense, de la sécurité et de l’espace.
Jusqu’à présent, depuis le référendum sur le Brexit, la CAA était sur une position similaire visant à maintenir une reconnaissance mutuelle en restant dans le système de l’EASA, dans l’intérêt des utilisateurs et constructeurs.
Mais pour l’heure, la CAA est déjà aux prises avec un « problème ». Au 8 avril prochain, certains pilotes anglais devront corriger leur pratique. Actuellement, les pilotes d’avions (LAPL ou PPL en mode EASA) peuvent… « auto-déclarer leur aptitude médicale à piloter des avions certifiés par l’EASA, plutôt que de devoir obtenir un certificat médical LAPL, un certificat médical de classe 2 avec un examinateur aéro-médical (AME) ou un certificat médical LAPL avec leur médecin généraliste » (sous réserve de certains critères).
Cette « dérogation » permise jusqu’ici expirera le mercredi 8 avril 2020. Elle ne pourra être renouvelée que si l’EASA prolonge sa propre dérogation permettant aux titulaires d’une licence nationale de pilote d’exploiter des aéronefs certifiés par l’EASA – c’est peu probable dans le contexte actuel ! La dérogation venait du fait que si un pilote anglais titulaire d’une licence nationale (NPPL) pouvait voler sur un avion certifié EASA avec une auto-déclaration médicale (« Oui, je suis en bonne santé ! »), le titulaire d’une licence EASA délivrée outre-Manche devait pouvoir en faire autant, sous peine de discrimination…
Ces pilotes, sans réponse à ce jour de l’EASA sur le sujet, devront donc passer une visite médicale classe 2 pour continuer à voler légalement ou une visite LAPL menée par un médecin généraliste. Quant aux pilotes volant sur des machines non certifiées EASA (avions de construction amateur, en kit, de collection) et bénéficiant de cette auto-déclaration médicale, ils ne sont pas concernés s’ils restent sur le territoire britannique… ♦♦♦