Etre conscient de la menace liée au syndrome de la destinationite…
Si les Rex (Retour d’EXpérience) permettent de comprendre comment peuvent se mettre en place les ingrédients menant à un incident ou à un risque d’accident, augmentant au passage la culture de sécurité du lecteur, la consultation des rapports du BEA complète cette sensibilisation aux risques, avec des Comptes rendus d’accidents dont il faut tirer les enseignements.
Un récent rapport révèle un scénario très approprié pour évoquer différents concepts, des facteurs humains à la gestion des menaces et des erreurs en passant par le syndrome de la « destinationite », ce dernier ayant déjà fait par le passé l’objet d’une étude du BEA intitulée Objectif Destination, toujours d’actualité…
Le rapport évoque une navigation Italie-France avec un PA-28 Arrow parti en novembre 2002 de Florence à destination de Cannes-Mandelieu, avec une route passant par la Corse. L’équipage comprend quatre personnes, deux couples. L’autonomie calculée est de 3 heures de vol pour un temps de vol estimé de 2h10. L’appareil était homologué VFR de nuit mais pas IFR. Il dispose de moyens de radionavigation (VOR-DME, ADF) mais son pilote automatique a été déposé pour réparation.
Alors que le monomoteur arrive à l’est de la CTR de Bastia-Poretta, le pilote entre en contact avec le contrôleur du secteur d’information de vol (SIV), pour un transit au nord de Bastia à 3.000 ft. Mais alors que l’appareil se dirige vers le point de report NW de la CTR, 9 minutes après le contact, le pilote demande à monter à 4.500 ft tout en demandant la « dernière » à Cannes.
Une minute plus tard, tentant de transmettre les conditions météorologiques régnant sur le terrain de destination, le contrôleur perd le contact radio… L’épave sera localisée de nuit, par un hélicoptère équipé d’un système de détection infrarouge, juste en dessous du sommet du Monte Stello (4.288 ft). L’enquête montrera que l’appareil était en montée, avec une assiette à cabrer, la collision avec le sol se faisant sous forte énergie.
Les conditions météorologiques font état d’un fort régime de sud, très humide, avec une vigilance « orange » annoncée par Météo-France. De fortes précipitations avec orages sont prévues sur le sud-est de la France dont les Alpes maritimes et le Var. Pour la Corse, l’humidité dans les basses couches est proche de 90%, avec bancs de stratus à certains endroits. Le vent du sud-sud-est sur la côte orientale et le nord de la Corse entraîne un soulèvement orographique, avec stratus et brouillards enveloppant le relief au-dessus de 200 m de hauteur et réduisant la visibilité.
La station au pied du Monte Stello donnait une couverture nuageuse totale entre 1.000 et 2.000 ft, la visibilité horizontale en mer n’excédant pas 8 km. Des turbulences sévères sont possibles entre les FL 10 et 100. A Cannes, le temps est prévu couvert avec nuages à basse et moyenne altitude, averses et orages, visibilités pouvant descendre à 3.000 m.
Les contrôleurs du SIV de Bastia disposent normalement d’une image radar composite, issue des images des radars de Grasse et de Gênes. Le jour de l’accident, ce dernier était indisponible et les sommets du Cap Corse généraient un masque de détection à l’est du Cap Corse pour le radar de Grasse. Le contrôleur n’a pu obtenir la trace radar ni report d’altitude, hormis les données transmises par le pilote. Le contrôleur n’a pu noter la modification de cap de l’avion, ce dernier se dirigeant vers le relief à une altitude trop faible.
L’incendie de l’avion, la destruction des instruments, l’absence d’image radar n’ont pas permis de relever la trajectoire exacte du Piper. Cependant, les données du radar de Rome ont permis de déterminer que le pilote avait débuté la montée à partir de 3.600 ft moins d’une minute avant la collision avec le relief, avec un taux de montée moyenne d’environ 235 ft/mn, insuffisant pour franchir la ligne de crête.
Le BEA note que le « pilote était aux commandes de l’avion depuis plus d’une heure, sa charge de travail s’est alors probablement intensifiée : n’ayant pas de pilote automatique à sa disposition, il est passé d’un survol maritime sans obstacles verticaux à un survol en zone montagneuse, sans doute dans une aérologie turbulente avec peu ou pas de références visuelles extérieures. »
Son inquiétude au sujet de la situation météo à destination, prévue une heure plus tard en début de nuit aéronautique, a suscité une réflexion suivie d’une prise de décision qui a pu se faire « au détriment du pilotage, à un moment peu opportun du vol », note le BEA.
Le BEA indique que le voyage a « été entrepris alors que les passagers présents à bord avaient des obligations professionnelles le lendemain. Le déroutement ultime sur l’aérodrome de Bastia-Poretta avec qui le pilote était en contact juste avant l’accident, n’a pas semblé avoir été envisagé par ce dernier. L’accident résulte d’une décision d’entreprendre le vol alors que les conditions météorologiques étaient incompatibles avec un vol en régime VFR puis de l’obstination de le poursuivre malgré l’opportunité qui s’offrait encore au pilote, d’un déroutement sur l’aérodrome de Bastia-Poretta, quelques minutes avant l’accident ».
Ont ainsi pu contribuer à l’accident :
– « la prise en compte insuffisante des conditions météorologiques du jour sur le trajet prévu »,
– « un probable excès de confiance du pilote en ses qualifications professionnelles (ATPL, 4.266 hdv) par rapport à l’équipement disponible sur l’avion et aux conditions météorologiques du moment »,
– « une pression liée aux contraintes professionnelles de ses passagers ».
La chaîne d’événements menant à l’accident a en effet compris plusieurs facteurs augmentant la charge mentale du pilote : la nécessité de rentrer pour les deux passagers d’où
une pression supplémentaire occultant la possibilité d’un déroutement, la pression temporelle accrue par la tombée de la nuit à destination, des conditions météorologiques peu propices
à du VFR, notamment dans le contexte particulier de la Corse (passage rapide entre
mer et relief). ♦♦♦
Lien vers le rapport du BEA