Un rapport de la Cour des comptes sur les « aéroports intermédiaires » français.
Diffusé en juin dernier, ce rapport intitulé « Le maillage aéroportuaire français » dresse l’état des lieux à partir des données de 2019 (avant la pandémie), complétées en 2022. En métropole, on comptait alors 73 aéroports dont 41 avaient reçu entre 10.000 et 3 millions de passagers commerciaux contre 13 en Allemagne, 28 au Royaume-Uni, 30 en Espagne et 20 en Italie, révélant ainsi un maillage très (trop) dense (sans oublier les projets récurrents d’aéroports dans la Beauce ou la région nantaise !) mais aussi fragile structurellement. Le rapport s’est intéressé aux « aéroports intermédiaires », dont le « niveau de trafic excède celui des aérodromes d’intérêt local sans égaler la fréquentation des plateformes aéroportuaires de rang international, et qui sont pour la plupart propriétés des collectivités territoriales depuis la décentralisation aéroportuaire ».
Une synthèse de ce rapport permet de mieux connaître la « vie au quotidien » de ces aéroports intermédiaires – qui connaissent aussi une activité Aviation générale pour la plupart et des AOT pour des associations basées… – et ainsi de mieux découvrir l’envers du décor. Du nord au sud, il faut ainsi citer Lille, Deauville, Rouen, Caen, Paris-Vatry, Strasbourg, Brest, Dinard, Quimper, Rennes, Lorient, Tours, Poitiers-Biard, La Rochelle, Limoges, Clermont-Ferrand, Chambéry, Brive, Grenoble, Bergerac, Aurillac, Rodez, Agen, Nîmes, Castres, Montpellier, Biarritz, Pau, Béziers, Tarbes, Carcassonne, Toulon, Perpignan, Bastia, Calvi, Ajaccio et Figari. Ainsi, la densité régionale est inégale, avec deux fois la moyenne pour les régions Nouvelle-Aquitaine, Bretagne et Occitanie.
Leurs vocations sont diverses (tourisme, désenclavement de territoires isolés, liaisons avec les métropoles régionales, fret) et ils sont fragilisés par le développement des lignes ferroviaires à grande vitesse et le retrait progressif du groupe Air France, souvent devenant alors très dépendants de quelques compagnies à bas coût, tout en se faisant concurrence dans une même région : Nîmes, Béziers et Montpellier, Tours et Poitiers, Bergerac, Limoges et Brive ou encore Biarritz, Pau et Tarbes. Cette fragilité d’ensemble a été accrue par la pandémie du Covid-19 et la désaffection de la clientèle d’affaires.
Quatre (Grenoble, Chambéry, Poitiers, Vatry et Lille) dépendent ainsi à 50 à 75% de leur trafic d’une ou plusieurs compagnies « low cost », huit à hauteur de 75 à 100% (La Rochelle et Dinard, 90% en 2021 pour Vatry, Limoges, Bergerac, Nîmes, 100% pour Béziers, Carcassonne et Tours). Contrairement aux « aérodromes d’intérêt local », utilisés par l’aviation générale, ces aéroports intermédiaires « doivent faire face aux coûts fixes importants (sécurité, sûreté) associés à l’aviation commerciale, sans recevoir pour autant le nombre de passagers suffisants pour bénéficier comme les plus grands aéroports de recettes extra-aéronautiques substantielles ». Les plus fragiles économiquement et les plus dépendants des compagnies à bas coût sont les aéroports dont le trafic est inférieur à 700.000 passagers par an.
Même si l’État a mis en place un mécanisme de péréquation de la taxe d’aéroport au bénéfice de ces aéroports, « le recours aux aides des collectivités locales s’avère ainsi nécessaire pour équilibrer l’exploitation et mener à bien les investissements nécessaires ». Ces aides permettent d’attirer des compagnies « au moyen de coûteux dispositifs d’accompagnement de liaisons aériennes » avec des pratiques (prestations marketing) « régulièrement condamnées par la Commission européenne », leur efficacité économique restant à prouver. Pour faire la promotion touristique de leur destination, certains aéroports achètent en effet des prestations « marketing » à des compagnies à bas coût (exemple : 33 millions d’euros pour Ryanair de 2017 à 2019 en Occitanie). Le tout souvent sans contrôle ni suivi de l’impact des actions sur la fréquentation de la clientèle ! Les voyageurs s’appuient bien plus sur les moteurs de recherche d’internet que sur le site de Ryanair, confirme une étude réalisée sur Tarbes.
Tout ceci doit l’imposer une adaptation du modèle de développement suivi jusqu’à présent, à raison d’une croissance rêvée de 5% par an du trafic, alors que la société évolue avec le report des voyageurs vers le train et la prise de conscience du bilan carbone. Le rapport souligne que « la comparaison entre les bénéfices apportés aux voyageurs, en termes de temps de transport, et le bilan carbone de certaines liaisons, incite en outre à prévoir, pour l’avenir, des évolutions de la carte aéroportuaire ». En d’autres mots, une diminution est à prévoir…
La Cour des comptes pointe la « déresponsabilisation des acteurs issue de la décentralisation aéroportuaire », avec une DGAC « recentrée sur ses missions régaliennes (sécurité et sûreté des aéroports, surveillance de la navigation aérienne) », ne s’occupant plus du maillage, l’État, lorsqu’il est actionnaire, veillant « à la rentabilité des aéroports d’Etat non privatisés ». Quant aux collectivités territoriales, elles agissent « de façon dispersée. Certaines régions ont élaboré des stratégies aéroportuaires ambitieuses et s’impliquent dans la gouvernance des aéroports. D’autres se désintéressent d’un sujet pourtant étroitement lié aux autres formes de mobilité dont elles ont la charge ».
Les syndicats mixes propriétaires ne suivent « qu’avec distance » les « délégations de service public concédées à des opérateurs privés ». Aussi, l’absence de coordination crée « un rapport de force défavorable vis-à-vis des compagnies aériennes à bas coût », mettant en concurrence les aéroports entre eux. Une « absence de vision d’ensemble » est soulignée, avec « l’État soutenant indistinctement l’ensemble des lignes proposées par les collectivités » (lignes aériennes subventionnées dans un but de désenclavement) « y compris celles dont la justification au regard des besoins des territoires, paraît des plus fragiles ».
D’où pour la Cour des comptes la nécessité d’un « pilotage du maillage aéroportuaire », car ce dernier est « confronté à une situation financière durablement fragilisée » et à une « certaine précarité juridique, liée au décalage entre la réalité économique des aéroports et un droit européen très restrictif en matière d’aides publiques ». D’où l’appel aux autorités publiques pour « revoir en profondeur la stratégie et les modes de gestion » de cet « outil stratégique au service de la mobilité du public ». Le rapport préconise la création d’un Observatoire des aéroports disposant de données complètes, et la nécessaire concertation Etat-régions pour une stratégie nationale, avec un rôle renforcé des régions. ♦♦♦
Le rapport de la Cour des comptes en téléchargement via ce lien
MaillageAero