L’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC, Suisse) évoque les « aéronefs vieillissants »
Dans une note remise à jour début 2023, l’OFAC indique que « la problématique des aéronefs vieillissants reste encore trop méconnue des pilotes et des organismes de maintenance. En raison de la chute de la production d’avions dans les années 1980 (graphique ci-dessous), les aéronefs restent en service plus longtemps, bien plus longtemps en tout cas que ne l’imaginaient leurs concepteurs ». Résultat, on le sait, l’âge moyen de la flotte d’aéronefs tourne autour des 40 à 45 ans pour la flotte des appareils de l’aviation générale, de l’Europe aux Etats-Unis.
Avec les prix de vente des appareils neufs qui, en termes de performances, n’apportent pas toujours un gain comparées à celles d’appareils anciens se trouvant sur le marché de l’occasion à des tarifs moindres, il est illusoire de croire à un rapide renouvellement de la flotte. Le vieillissement des cellules impose donc un suivi accru au niveau de l’entretien et de la maintenance. Pour le bois, une grande visite permet d’inspecter régulièrement la « menuiserie », voire de réparer un élément de structure, et – à titre d’exemples – certaines cellules de DR ont ainsi dépassé les 15.000 heures de vol.
Pour les matériaux composites, il peut y avoir des limites d’heures de vol imposées par le constructeur avec une durée de vie pour la cellule. Reste le métal, matériau sans doute le plus représenté dans le domaine de l’aviation générale de nos jours si l’on prend en compte les flottes de Piper et de Cessna très présentes dans de nombreux pays. Et l’OFAC de rappeler « qu’exposés à toutes sortes de sollicitations, les matériaux métalliques n’ont pas une durée de vie éternelle. L’effet de fatigue des éléments se traduit par la concentration de contraintes aux endroits critiques, notamment sur les bords des orifices qui accueillent les rivets et les boulons. Suivant la qualité du perçage lors de la construction ou du fait des entailles provoquées pendant les opérations de maintenance, des microfissures peuvent apparaître sous l’effet des variations de charge. Si elles ne sont pas découvertes à temps, ces microfissures peuvent se propager jusqu’à provoquer la rupture de l’élément concerné ».
Et de préciser qu’il « arrive aussi souvent que des parties importantes de la structure d’un avion ne puissent guère être inspectées. Par exemple, il est impossible de contrôler les semelles du longeron principal au niveau du réservoir structural d’aile sans démonter à l’endroit critique la structure étanche du réservoir : un travail fastidieux lorsque l’on songe que des centaines de rivets fixent la structure ». On se souvient qu’un Piper PA-28-201 de l’école américaine Embry-Riddle a ainsi perdu une aile après un décollage en avril 2018, la structure du longeron étant mise en cause par l’enquête.
D’où le souhait de la FAA d’imposer alors une AD pour inspecter près de 20.000 longerons de voilure de PA-28 pour aller vérifier les semelles inférieures du longeron principal, inaccessibles par simple inspection visuelle. Mais le NTSB intervenait peu après jugeant que cette décision pourrait apporter un remède plus dangereux dans certains cas. Le NTSB jugeait « peu probable » que la majorité des PA-28 connaissent de telles criques, considérant les modèles les plus lourds et les plus puissants (235 ch) de la gamme comme les plus concernés.
Dans sa note téléchargeable en ligne, l’OFAC indique que « la durée de vie d’un élément dépend étroitement du niveau de contrainte qui s’exerce sous l’effet d’une charge. Par le passé, les avions étaient en général conçus en exploitant les matériaux à la limite de leur résistance statique : dans le souci de limiter le poids, de nombreux éléments ont été dimensionnés de manière à ce que la limite d’élasticité des matériaux ne soit tout juste pas atteinte lorsque la charge est maximale. Si les règles et normes de conception étaient ce faisant respectées, il ne fallait toutefois pas s’attendre à ce que les éléments dimensionnés de la sorte aient une grande longévité ».
Et de mieux faire comprendre le phénomène du vieillissement appliqué à un élément typique tel un longeron riveté : « Comment évolue la durée de vie (fatigue) d’éléments de fabrication identique soumis aux mêmes variations de charge (spectre de charge uniforme) ? Pour le savoir, on a testé la durée de vie de 1.000 longerons de fabrication identique en les soumettant aux mêmes sollicitations jusqu’à l’apparition d’une rupture de fatigue. Le niveau de contrainte des longerons a été déterminé par analyse et devait permettre en principe à l’élément de supporter 10.000 heures de vol. Les résultats de l’essai sont représentés dans le diagramme suivant :
L’OFAC note qu’il est « intéressant et en même temps préoccupant de constater que la dispersion statistique ou « incertitude » est très grande. L’élément le moins endurant s’est rompu au bout de 2.500 heures de vol (un facteur de 10.000/2.500 = 4 !), tandis que 258 longerons ont atteint les 10.000 heures de vol. Comment explique-t-on cette grande dispersion ? On sait que l’apparition et la formation d’une microfissure dans les matériaux métalliques varient fortement d’un cas à l’autre. Autrement dit, un facteur d’incertitude de 3 à 8 doit être pris en compte lorsqu’il s’agit d’établir de manière analytique ou au moyen d’essais de fatigue de la cellule la durée de vie d’une structure d’avion. En principe, chaque structure d’avion a une durée de vie limite. En réalité, dans le cas des avions âgés encore en service, aucune durée de vie limite n’a été fixée. Une négligence ou une lacune des normes de conception de l’époque… qui risque d’avoir des conséquences graves pour la flotte actuelle ? ».
Des accidents liés à la fatigue de la structure sont survenus en aviation commerciale (exemple cité : un Boeing 737 d’Aloha Airlines revenu au sol en 1988 avec les passagers en « décapotable » après avoir perdu une partie de la structure du fuselage suite à des problèmes de corrosion par air salin) et les normes de conception ont donc été modifiées, des programmes d’inspection spécifiques appliqués aux avions âgés et/ou ayant enregistré un grand nombre d’heures de vol. La « périodicité des inspections est déterminée sur la base du calcul de la propagation des fissures », la longueur critique (maximale) étant déterminée sur la base de la résistance statique résiduelle, soit « une longueur de fissure que la structure est capable de supporter à la charge maximale possible en exploitation ».
L’OFAC constate que « l’absence de tels programmes contraignants pour les avions de l’aviation générale s’explique par les coûts, considérables, qu’ils représentent. Il est arrivé ici ou là que l’autorité ordonne des inspections supplémentaires pour de petits avions à la suite d’une série d’accidents d’avions du même type dus à des ruptures de fatigue, le non-respect des consignes de l’autorité entraînant l’immobilisation de l’appareil concerné. Dans le cas des autres avions, il faut se résigner à attendre que des fissures de fatigue soient un jour découvertes dans un élément et que les exploitants d’avions similaires soient sensibilisés au problème. En espérant que ces fissures soient découvertes avant qu’un accident se produise ».
Si « on ne connaît toujours pas la durée de vie de nombreux avions de l’aviation générale », les avions « très sollicités comme les avions d’acrobatie ou les remorqueurs de planeurs doivent être considérés comme étant particulièrement exposés au risque de fatigue ». Et le nombre d’heures de vol n’est pas le seul critère pour quantifier la fatigue car des événements tels que facteurs de charge, atterrissages durs, dommages dus à la corrosion, « peuvent raccourcir significativement la durée de vie ».
L’OFAC précise qu’à « la suite d’inspections fouillées (notamment à cause de la corrosion) menées sur le Super-Constellation immatriculé HB-RSC », il s’est vu « contraint de vérifier l’état de tous les avions de la sous-catégorie « Historique » sous immatriculation suisse
(avions de l’annexe II qui ne relèvent pas de la compétence de l’EASA : Mirage, Hunter,
P-3, Ju-52, DC-3, etc.) ». On notera que ces derniers mois, l’unique Mirage IIIB et le Hunter J4201 ont été arrêtés par leurs exploitants à la suite de contrôles imposés par l’OFAC. L’accident du Junkers Ju-52 de Ju-Air en août 2018, avec une maintenance jugée inadéquate par l’enquête – notamment des traces de corrosion – n’a pas arrangé les choses.
L’OFAC indique que ce contrôle des appareils « historiques » a consisté « dans un premier temps en une évaluation des risques à partir de données d’exploitation telles que l’année de construction, le total des heures de vol et des atterrissages, le total des heures de vol et des atterrissages du premier avion de la flotte (fleet leader), le nombre de cycles de pressurisation pour les avions dotés de cabine pressurisée, les réparations et/ou modifications effectuées, comme l’augmentation de la masse, les problèmes apparus (CN, BS), le niveau de sollicitation ou de contrainte dans les éléments critiques. Dans un deuxième temps, des inspections supplémentaires spécifiques seront exécutées si nécessaire. Elles s’étaleront vraisemblablement sur les trois années à venir » précise l’OFAC. ♦♦♦
Illustrations © OFAC