Piste en herbe, intempéries, largeur et pression des pneus…
Deux accidents soulignent les risques liés à une piste en herbe après de fortes intempéries, avec pour facteurs contributifs le train classique, la masse de l’appareil, la largeur et la pression des pneus…
En mai dernier, à Saint-André-de-l’Eure, un Cap-232 au décollage sur la piste grasse, après les nombreuses pluies ayant balayé le nord du pays ce printemps 2024, a vu ses roues s’enfoncer progressivement jusqu’à provoquer le retournement de l’appareil vers l’avant. Le pilote est parvenu à se dégager seul de l’avion. Un rapport du BEA est en préparation.
Un an auparavant un accident similaire est survenu, en Grande-Bretagne, à un Grumman FM2 Wildcat, lors de l’atterrissage sur un terrain privé, bénéficiant de trois pistes de différentes longueurs, le tout à l’occasion d’un fly-in annuel comptant une dizaine d’appareils de collection. Le pilote avait été blessé. Avant l’atterrissage du Wildcat, un Rallye (devant ramener le pilote du FM2 à sa base), un Waco UPF7 et un Focke-Wulf FW-44 avaient utilisé la piste 24 sans incident.
Après avoir atterri en premier, le pilote du Rallye a confirmé que la piste était parfaite. Le pilote de Wilcat a ensuite réalisé son approche avant une assiette 3-points à l’atterrissage, la roulette de queue étant légèrement surélevée de 30 cm, sans rencontrer de problème pour gérer ensuite la trajectoire après l’atterrissage, moteur tout réduit. Lors du roulage, il a senti l’arrière de l’appareil se soulever, situation aussitôt contrée par du manche plein secteur arrière mais l’appareil a poursuivi son mouvement de rotation, le pilote vérifiant visuellement qu’il n’était pas en train de freiner. Ne pouvant contrer la rotation vers l’avant, le pilote s’est préparé à l’impact, la tête en avant et le plus bas possible. 96 mètres après le toucher des roues, l’appareil s’est retrouvé « sur le toit ».
Tenu par les sangles, son casque et son épaule gauche au contact du sol, et sa tête contre l’épaule droite, il a noté un espace entre la verrière et le sol, seule possibilité pour évacuer.
Du carburant a commencé à couler dans l’habitacle mais le pilote n’a pas coupé le circuit, sachant que cela ne servirait à rien, le carburant se déversant par gravité, l’avion étant à l’envers. Il a par contre coupé le circuit électrique. Après avoir retiré son casque, il a cassé
un peu plus le plexiglas pour se trouver une sortie. L’équipe au sol est alors arrivée. Le pilote, avec précaution, a détaché son harnais 4-points (pour éviter le « coup du lapin » qui peut
être mortel) avant de pouvoir passer ses bras par l’ouverture et être ainsi extrait par l’équipe
de secours.
Le pilote n’était pas un débutant, avec 4.200 heures dont 1.800 sur Spitfire ou warbirds similaires. Si c’était son premier atterrissage en Wildcat sur cette piste, il avait pratiqué ce même terrain et cette même piste les années passées avec des Spitfire ou un Me-109 Buchon (2,8 tonnes et des pneus de 13 cm de largeur et 4,5 bars). Le lendemain de l’accident, deux Spitfire se sont posés sans problème sur la piste 15. Leur masse était d’environ 3 tonnes avec une pression des pneus à 3,8 bars.
La piste avait été préparée comme les années passées, herbe coupée et un buggy de 1,2 tonne, avec des pneus à 1,4 bar, avait roulé jusqu’à 90-110 km/h sur les côtés de la piste pour évaluer son état. Un autre véhicule de 2,6 tonnes (pneus à 2,6 bars) avait fait de même peu avant l’arrivée des premiers avions ainsi qu’un véhicule de 1,7 tonne (pneus à 2,2 bars)
à la vitesse de 120 km/h. Seules des marques dans l’herbe avaient été notées et non pas
dans le sol.
A l’atterrissage, le Wildcat affichait 2,7 tonnes de masse (avion, carburant, pilote) avec environ 1.360 kg sur chaque roue, soit une pression de 6,9 bars sur le sol. Le centre de gravité de l’appareil se trouve à environ 2 m du sol, plus haut que celui d’un Spitfire (1,50 m environ) pour une masse similaire. L’axe du moteur se trouve également 1,5 m au-dessus des roues principales en assiette horizontale. Les traces au sol ont montré un glissement initial des pneus avant que ceux-ci ne s’enfoncent de 3,3 cm. Ces marques resteront prononcées sur la quasi-totalité des 96 m de roulage à l’atterrissage (contre 680 m selon le manuel pour la distance d’atterrissage). Aucune marque de la roulette arrière ne sera constatée.
L’examen de la piste a montré qu’une croûte de surface, dure, s’était formée au-dessus d’une couche plus molle. Lorsque l’avion a touché le sol, la dureté des pneus (étroits et à forte pression) et le poids de l’avion « ont comprimé la croûte superficielle. Les faces d’attaque des pneus ont continué à comprimer la surface au fur et à mesure qu’ils roulaient, ce qui a créé un effet de traînée considérable. Cet effet est très similaire à celui d’un atterrissage sur du sable mou ou de la neige glacée ». Durant la décélération, le centre de gravité a pivoté autour des axes des roues principales.
« La surface croûtée de la piste, sur un sol mou, est probablement due aux conditions météorologiques humides des semaines précédant l’événement, suivies d’un temps chaud et sec dans les jours précédant l’accident. Ce phénomène n’a pas été détecté, bien que la piste ait été vérifiée conformément aux recommandations disponibles » précise l’AAIB. Le rapport rappelle qu’il est recommandé que l’herbe ne soit pas plus haute que 30% du diamètre des pneus et l’idéal est de ne pas dépasser 10 cm. Une voiture doit pouvoir rouler à 50 km/h sans gêne particulière. ♦♦♦
Photos © AAIB et DR