Missions au-dessus de l’Allemagne depuis la tourelle arrière d’un Lancaster…
Jeune éditeur suisse, avec un département orienté « ouvrages historiques », Blueman a déjà publié « Cent pour sang », traduction de « A wing and a prayer », racontant la vie des équipages, et notamment d’un navigateur, de la 8e Air Force, menant des missions au-dessus de l’Allemagne aux commandes de Boeing B-17. Cette fois-ci, c’est la traduction de « Rear Gunner Pathfinders » de Ron « Smithy » Smith qui a retenu son attention.
De l’US Air Force, on passe ainsi à la Royal Air Force, du cockpit, on rejoint la tourelle arrière d’un bombardier motorisés par quatre Merlin. Ron Smith raconte au fil des pages sa Seconde Guerre mondiale, commencée comme artilleur au sol après avoir été écarté une première fois de la Royal Air Force en 1940. Souhaitant devenir membre d’équipage, il va tout faire pour atteindre son objectif, achevant sa formation de mitrailleur en juin 1943. Après un début sur Wellington, il rejoint un escadron de Lancaster. Les entraînements se succèdent jusqu’aux premières opérations réelles comme mitrailleur arrière.
D’une unité « standard » du Bomber Command, en suivant son commandant de bord, il va alors rejoindre le Squadron 156 Pathfinder – ceux qui « éclairent » le chemin des bombardiers en partant en tête pour aller « illuminer » les cibles par des marqueurs colorés, afin de faciliter la localisation des sites pour les bombardiers qui suivent. La répartition des missions avec les US Army Air Forces fait que la RAF vole de nuit. Ce sont donc de longues missions nocturnes, allant de 6 à 8 heures, effectuées depuis l’Angleterre à destination de cibles comme Stuttgart, Cologne, Augsburg (usines aéronautiques), Nuremberg ou encore Schweinfurt (production de roulements à billes).
Après avoir rejoint depuis l’intérieur du fuselage du Lancaster sa tourelle Nash & Thompson FN20 à commande hydraulique, s’être enfermé dans cette dernière pour pouvoir pivoter les quatre mitrailleuses et assurer ainsi les « arrière » du quadrimoteur, ce seront de longues heures passées « enfermé dans une capsule de plexiglas, totalement isolé des autres membres de l’équipage » hormis l’intercom, échangeant ainsi avec le « skipper » mais aussi
le mitrailleur de la tourelle dorsale.
À l’aller, il faut déjà passer un premier barrage de la flak en arrivant en territoire occupé, puis atteindre la cible après différents changements de cap pour tromper l’ennemi sur la véritable destination. Si l’obscurité de la nuit peur apporter le sentiment d’une protection accrue, il n’en est rien. Les risques de collision sont bien réels et l’équipage de Ron Smith échappera plusieurs fois à la collision par un bref message sur l’intercom ou via des boutons allumant des alarmes lumineuses dans le cockpit – ceci pour demander au pilote de piquer à droite ou à gauche afin d’éviter un autre Lancaster ou de recevoir les bombes d’un autre bombardier juste au-dessus qui vient d’ouvrir ses trappes ventrales…
Il faut encore durant tout le vol scruter les alentours pour prévenir l’attaque de chasseurs de nuit ennemis, du FW-190 au Ju-88, voir disparaître en feu des avions dont s’échappent parfois les corolles blanches des parachutes. Puis ce sera la dernière ligne droite aux ordres du navigateur pour larguer avec précision les marqueurs, en s’aidant des données issues du radar H2S, permettant de travailler sans visibilité. Mission accomplie, ce sera le retour, en comptant les minutes séparant l’avion des côtes plus accueillantes de la Manche, et en évitant encore risques de collisions et mauvaises conditions météorologiques en approche finale, qui aggraveront souvent le bilan humain. Pour sortir de la « tension » subie à chaque mission, il reste les permissions pour « décompresser » en parcourant la campagne anglaise en moto…
Alors qu’un « tour » comprend 30 missions, Ron Smith atteindra les 65 missions en 1945 avant d’être retiré des opérations pour devenir instructeur. Sa dernière mission opérationnelle a compté plus de 900 bombardiers lancés dans la nuit. Son dernier vol consistera à aller chercher en Allemagne des prisonniers de guerre alliés, à raison dd 35 rapatriés par Lancaster, le tout à basse altitude contrairement aux missions réalisées autour de 7.000 m.
Par cet ouvrage, il apporte son témoignage vécu depuis sa tourelle arrière, point de vue particulier et peu mis en avant dans la littérature à ce jour. Au-delà du récit personnel, l’ouvrage s’achève par quelques pages d’annexes révélant notamment mois par mois, de 1939 à 1945, le nombre de sorties du Bomber Command, les avions manquants et détruits, le pourcentage de pertes sur le nombre de bombardiers impliqués. Y figurent également l’historique du 156 Pathfinder Squadron et un court cahier de photos. ♦♦♦
Photos © RAF
– La Vigie, par Ron Smith, Ed. Blueman. 204 pages. 17,00 € https://editionsblueman.com