Le BEA italien a diffusé son rapport final concernant la collision en vol entre un AS-350B3 Ecureuil de GMH et un Jodel D-140E Mousquetaire de l’aéro-club de Megève en janvier 2019.
L’Agenzia Nazionale per la Sicurezza del Volo (ANSV, équivalent italien du BEA) a publié ces derniers jours le rapport final concernant l’accident survenu le 25 janvier 2019 dans le secteur du glacier du Rutor. Il s’agit de la collision en vol d’un hélicoptère italien (AS-350B3) et d’un monomoteur (Jodel D-140E). L’accident a entraîné la mort de 7 personnes (5 dans l’hélicoptère dont le pilote et 2 dans l’avion), avec deux blessés graves (1 dans chaque aéronef).
En avril dernier, la justice a confirmé la condamnation du pilote instructeur français – en place avant droite du D-140E et seul survivant côté avion – à une peine de 4 ans de prison dont 6 mois fermes. L’ANSV a pour objectif la prévention des incidents et accidents. L’organisme reste prudent sur certaines hypothèses, n’ayant pu avoir la confirmation de certains faits, comme la fréquence affichée sur la VHF de l’avion.
Les enquêteurs italiens ont utilisé les images de la GoPro du guide montagnard à bord de l’hélicoptère, révélant la trajectoire de l’hélicoptère durant les 65 dernières secondes, sans montrer la présence d’un autre aéronef jusqu’à l’impact. À partir de la GoPro du pilote d’hélicoptère posée sur le tableau de bord, les enquêteurs ont pu déduire « avec difficulté suite au niveau sonore élevé de la motorisation et du rotor principal comparé aux voix humaines » que durant les 65 secondes entre le décollage de l’hélicoptère et la collision, le pilote et le guide montagnard avaient discuté du site d’atterrissage, l’analyse « ne révélant pas de messages radio faits par le pilote ou des réponses faites par lui durant cette période ».
Côté avion, le pilote survivant n’a souvenir que des quelques minutes du vol après le décollage de Megève vers le glacier du Rutor, distant de 900 m après la frontière franco-italienne. Il n’a pas souvenir des messages radio reçus durant le vol et pense que l’élève en place gauche, un pilote belge avec lequel il avait déjà volé le matin même, a effectué les messages réglementaires sur la fréquence 130.000 MHz.
Les deux appareils, sans que les équipages n’aient conscience de la présence de l’autre aéronef, se sont retrouvés parfaitement alignés sur la même trajectoire, sans que les enquêteurs puissent affirmer que le D140E était en finale ou en trajectoire pour une reconnaissance de l’aire d’atterrissage. L’hélicoptère était en montée depuis la vallée. Il a été rattrapé par le Mousquetaire arrivant de l’arrière, les deux équipages comptant de nombreux angles morts et des conditions de lumière proches du contre-jour. Les conditions étaient cependant de type visibilité illimitée, ciel clair.
L’impact initial a eu lieu entre une pale du rotor principal de l’Ecureuil et la jambe droite du train principal du Mousquetaire, avant que le rotor principal ne touche la partie inférieure du fuselage et l’aile droite du monomoteur.
Dans les conclusions, le BEA italien précise que l’accident a « été causé par une surveillance insuffisante de la part des deux équipages, qui aurait dû être plus pro-active en prenant en considération la zone réduite et les phases de vol critiques dans lesquelles les deux aéronefs se trouvaient ». Parmi les facteurs contributifs, sont cités :
– la « probable absence d’échanges radio » entre les deux équipages,
– la vision limitée ou absente pour les deux équipages vers le secteur occupé par l’autre aéronef. L’avion à aile basse était quelques mètres plus haut que l’hélicoptère à la cabine opaque vers le haut, sans compter la localisation du pilote hélicoptère à l’opposé de l’arrivée de l’avion.
– la position du soleil, de face pour les deux aéronefs, qui a pu affecter de façon significative les capacités des équipages en termes de perception visuelle.
– l’AIP italien est critiqué, ne facilitant pas la recherche et la compréhension des procédures et règlement par les opérateurs notamment étrangers, avec aussi des textes uniquement disponibles en italien.
– les pratiques organisationnelles de l’aéro-club de Megève, déjà mis à l’amende par l’Italie en 2004 pour non-respect de la loi italienne, auquel des restrictions de vol au-dessus du territoire italien avaient été confirmées, les pilotes continuant cependant à se poser sur le sol italien en violation de la réglementation italienne.
On le sait, dès les premiers jours après l’accident, l’absence de plan de vol pour le D-140E, imposé par la réglementation pour le passage de frontière, avait été mise en avant. Selon le chef-pilote du club de Megève, interrogé lors de l’enquête, cette procédure de plan de vol n’était pas applicable, notamment avec un possible changement de site d’atterrissage durant le vol en fonction des conditions météorologiques. Et l’absence d’organisme à contacter en vol suite au relief montagneux.
Le rapport précise que des annonces radio étaient prévues entre les pilotes de l’aéro-club de Megève et l’opérateur de l’hélicoptère (GMH), sur 130.000 MHz et 122.850 MHz ainsi qu’une « communication à GMH par le chef-pilote du club pour l’informer de la présence d’avions sur le Rutor, dans le but d’assurer une coordination des différentes activités respectives ». Dans son rapport, l’ANSV indique cependant que l’existence d’un tel protocole a été démenti par GMH. Sans avoir pu trouver des documents officialisant une telle pratique, les enquêteurs n’ont pu aller plus loin « au vu des affirmations divergentes ».
Le rapport indique par railleurs que les gardes forestiers du secteur (Corpo forestale valdostano) ont relevé, durant au moins ces vingt dernières années, la présence d’appareils aux immatriculations étrangères, notamment françaises, qui ne répondaient pas aux exigences de la réglementation italienne, ayant atterri sur des glaciers italiens, dont le Rutor.
Seulement quelques procès-verbaux ont pu être établis au vu de la difficulté à détecter et à documenter les infractions, d’où l’interdiction faite à l’aéro-club de Megève de venir en Italie depuis 2004.
L’ANSV a émis plusieurs recommandations : la modification de l’AIP italien, une meilleure coodination entre la police et l’ENAC (la DGAC italienne) au sujet des infractions constatées (et pas seulement dans la vallée d’Aoste) avec interpellation des autorités étrangères. L’ANSV recommandae une « plus grande surveillance effective et une meilleure promotion de la sécurité à développer au sein des aéro-clubs français, notamment pour les sensibiliser aux faits relevés par l’enquête, notamment le respect de l’activité menée en territoire italien, en zone montagneuse, à proximité de la frontière ».
L’ANSV recommande d’étudier la faisabilité d’installer à bord des aéronefs évoluant en VFR et en classe G des équipements obligatoires assurant l’anti-collision ou permettant de détecter la présence d’autres aéronefs à proximité.
Dans les annexes, l’ANSV précise que le BEA français n’est pas totalement en phase avec son rapport, notamment au sujet des possibles échanges radios et de la cause de l’accident. Dans les annexes, la position du BEA est ainsi précisée : « Le rapport indique que les équipages n’ont pas réussi à faire une acquisition visuelle en raison d’un « manque d’attention ». Le BEA ne soutient pas cette cause, car, comme indiqué dans le rapport, la simulation de trajectoire montre que les deux avions étaient respectivement dans un angle mort. De plus, l’analyse des enregistrements audio et de la radio ne permet pas de conclure à la transmission (ou non) d’informations automatiques par les deux équipages, ni à l’écoute active sur la fréquence montagne 130.00 par d’autres équipages ».
« Pour l’hélicoptère, l’avion était dans le secteur arrière et plus haut. Pour l’avion, l’aile droite masquait l’hélicoptère et de plus, la couleur de l’hélicoptère associée à l’ombre du relief rendait la détection visuelle très difficile. Cela signifie que même avec une recherche visuelle « agressive », les pilotes n’auraient probablement pas été en mesure de se voir ou de se détecter visuellement l’un l’autre car les avions se trouvaient dans des angles morts ».
« On peut seulement dire que la vigilance standard et normalement pratiquée n’a pas été suffisante pour éviter la collision en vol. Le BEA suggère de modifier la phrase comme suit :
L’accident, résultant de la collision en vol entre les deux avions, est dû à l’absence d’acquisition visuelle par les équipages respectifs. La position et la trajectoire respectives des deux avions ont rendu la détection par chaque équipage de l’autre avion extrêmement difficile, même s’ils avaient été conscients de la présence d’un autre avion dans la zone ». ♦♦♦
Pour ceux qui veulent aller plus loin, la version anglaise du rapport de l’ANSV disponible en cliquant sur le lien ci-dessous.