Un récent rapport du BEA évoque un (trop) classique scénario menant à l’accident.
Voler en montagne est une expérience enrichissante mais sans formation ou sensibilisation au préalable, c’est s’exposer à des risques plus ou moins bien appréhendés quand on ne pratique que le vol en région de plaine, comme le rappellent régulièrement des rapports du BEA ces dernières années. Sur aeroVFR, le sujet a déjà été abordé ici et là et encore ici mais la récente publication par le BEA d’un rapport d’accident survenu en août 2021 entraîne à revenir sur le sujet, avec un scénario menant à l’accident mortel qui se met en place au cours du vol. Les erreurs des uns doivent servir aux autres à les éviter…
Le BEA résume le rapport d’accident par ceci :
« Le pilote, après avoir passé Albertville, a suivi une route vers le sud qui ne semble pas en adéquation avec sa destination prévue. L’enquête n’a pas permis d’établir les raisons qui ont conduit le pilote à suivre cette route et en particulier si son suivi était intentionnel ou non ».
« Le pilote est ensuite entré dans la vallée menant au col du Glandon et a suivi une route directe en direction du col. Cette trajectoire directe, compte tenu des performances de l’avion et de l’altitude d’entrée dans la vallée, ne laissait pas le temps suffisant pour gagner l’altitude nécessaire pour franchir le col. Ainsi, bien que l’avion ait pris de l’altitude, il s’est rapproché progressivement du sol et des versants de la vallée. De plus, évoluant au centre de la vallée, le pilote ne disposait que de la moitié de l’espace disponible pour réaliser un demi-tour ».
« Au fur et à mesure que la hauteur diminuait, il devenait de plus en plus difficile, pour un pilote non entraîné au vol en zone montagneuse, de manœuvrer en l’absence d’horizon naturel qui était masqué par le relief. Le pilote a ainsi poursuivi sa route tout en continuant de se rapprocher d u sol. L’avion a heurté des obstacles cinq minutes environ après l’entrée dans la vallée ».
La chaîne d’événements menant à la situation critique est bien détaillée. En voici les principaux composants :
– le pilote est breveté depuis 10 ans et totalise environ 230 heures, soit une vingtaine d’heures de vol par an en moyenne. En 2021, année de l’accident, les relevés de son club mentionnent côté expérience récente « un peu plus de dix heures de vol dont une navigation de cinq heures aller-retour et trois vols d’une durée totale de deux heures trente en double commande » à l’issue desquels il a été lâché sur DR400-500 utilisé le jour fatal. Selon les instructeurs du club, le pilote n’avait pas de difficulté particulière, étant appliqué, ne prenant pas de risques. Mais il n’avait « probablement aucune expérience du vol en montagne ».
– on ne sait si la route suivie par l’avion était intentionnelle ou pas pour rentrer dans la vallée menant au Glandon, car la destination étant Sarlat, la route suivie s’éloigne du tracé le plus direct. Les conditions météorologiques étant très bonnes (CAVOK, peu de vent, ciel dégagé, faible température malgré un mois d’août), la trajectoire n’a pas été imposée par la météo. En montagne, lors d’un changement de route en cours de navigation, il faut bien évaluer les conséquences car le relief, contrairement à la plain, peut entraîner des risques : pente ascendante, versants se resserrant au fur et à mesure, obstacles (lignes électriques), etc.
– le vol en montagne impose des règles de base, comme le passage en palier ou en descente mais pas en montée, au risque de subir l’aérologie (effet venturi, descendance, etc.). De plus, le passage d’un col doit se faire sous environ 30° pour se réserver une porte de sortie peu avant le col en faisant demi-tour si les marges de hauteur deviennent trop faibles. Dans le cas cité, le pilote a suivi une route directe « en évoluant au centre de la vallée », ne lui laissant ainsi « que de la moitié de l’espace disponible pour réaliser un demi-tour ». Cas classique d’un pilote peu familier avec le vol en montagne où il est préférable de s’appuyer sur un versant (idéalement au vent et au soleil) pour pouvoir dégager par demi-tour.
– suivant son application de navigation sur tablette, il a suivi la route directe tracée sur l’écran. Avec une représentation en 2 dimensions, ceci ne permet pas de prendre en compte avec précision le relief et la pente du sol (topographie), sauf à avoir une carte avec la représentation du relief et une bonne analyse du secteur avant décollage. Ainsi, le BEA a noté que le pilote a remonté la vallée avec une pente de montée moyenne de 5,1% inférieure à la pente moyenne de la vallée (8,4%). De plus, proche du col, cette pente s’accentue. Durant les 5 minutes passées entre l’entrée dans la vallée et le lieu l’accident situé à 5.070 ft, si l’altitude de l’avion a progressivement augmenté, sa hauteur a progressivement diminué, la trajectoire se faisant « rattraper » par le sol. Pour un pilote n’ayant pas d’expérience en montagne (perte d’indication de l’horizon naturel dans le relief), la tentation doit alors être grande de vouloir tirer le manche…
– avec un avion à moteur atmosphérique, chacun sait que les performances se dégradent avec l’altitude, surtout si l’avion est à la masse maximale. Ce qui était « probablement » le cas avec 4 personnes à bord, des bagages et un complément de pleins (+117 l) effectué avant le décollage. Il faut également se rappeler que les avions légers ne sont pas surmotorisés, même dans le cas d’un DR400-500 motorisé par un 200 ch à pas variable. Selon le constructeur, la pente de montée maximale serait de 8,5% à des vitesses indiquées de 130/135 km/h, ce que le pilote n’a sans doute pas pratiqué. En montée normale, la pente est plus proche de 4 à 6% selon les motorisations.
– avion placé dans un entonnoir se rétrécissant de plus en plus au fil du vol, si la première porte de sortie n’a pas été prise (un demi-tour en allant chercher un versant pour se réserver la possibilité du 180° tant qu’il y a encore des marges de manoeuvre en largeur de vallée et en vitesse indiquée), la dernière porte de sortie (sauver l’équipage et faire fi de l’appareil) aurait consisté à « vautrer » l’avion sur une partie déboisée de la vallée, ce qui aurait été possible au vu des photos figurant dans le rapport du BEA. Le pilote a préféré poursuivre le vol jusqu’à se trouver à quelques mètres au-dessus des arbres.
Dans plusieurs rapports publiés ces dernières années, le BEA a retenu comme thème de sécurité les connaissances ou l’expérience insuffisantes pour la réalisation de vols en montagne. Il y est notamment rappelé que « le vol en montagne comporte des particularités propres à l’environnement : repères visuels inhabituels par la perte d’horizon naturel, diminution des performances opérationnelles, aérologie complexe et changeante, espace restreint notamment. Des connaissances et des compétences spécifiques sont nécessaires pour voler en sécurité dans cet environnement contraint et exigeant. »
En février 2023, le BEA a publié un rapport concernant deux accidents survenus le même jour lors d’une navigation circulaire en montagne d’un groupe d’une vingtaine d’aéronefs. Les deux avions accidentés sont entrés dans une vallée à une hauteur trop faible pour franchir le col. Un des deux pilotes a tenté d’atterrir sur la cime des arbres tandis que le deuxième a interrompu le vol et a atterri dans une prairie. ♦♦♦
Illustrations © BEA