Une démonstration aberrante de l’anti-culture juste en France…
Vous l’avez déjà lu ici… En voici une synthèse rapide pour redonner le contexte. En septembre 2023, un pilote aux commandes de son Piper PA-18 décollait de son terrain de base (Annecy) pour rejoindre une altisurface. Au retour, le contact radio s’avère impossible avec Annecy. Ni réception, ni émission. Après avoir cherché à résoudre la panne radio, sans succès, le pilote cherche la meilleure solution pour gérer cette situation et revenir au sol.
7600 affiché au transpondeur, des orbites au point d’entrée de la CTR pour se faire voir, une analyse des solutions possibles avec d’autres terrains évalués mais après analyse des options, il choisit de revenir à Annecy, terrain qu’il connaît, où le contrôle sait que l’appareil doit revenir et va noter le code 7600 affiché. Et donc, le pilote pénètre la CTR sans radio puisqu’en panne, se fait bien voir par ses phares et sa trajectoire et se pose sans gêner le moindre trafic.
Passage à la tour où le contrôleur a bien compris le problème et l’incident s’arrête là, sauf que l’événement sera remonté à la hiérarchie comme tout retour d’expérience utile à la communauté des pilotes et des contrôleurs. Le pilote ressert la radio dans son rack et tout refonctionne. Nous sommes encore au pays du bon sens, celui de Descartes. Mais 16 mois plus tard, le pilote est convoqué par la BGTA et se voit reprocher 1) d’avoir pénétré la CTR sans contact radio et 2) d’avoir ensuite revolé avec sa radio sans mention d’une APRS dans le carnet de route. On le questionne pendant près de 2 heures sans prendre en compte le cas de force majeure et après signature du PV, il n’aura même pas droit à sa copie ! Cette fois, c’est Kafka !
Quelques jours plus tard, c’est une convocation le mois suivant par le délégué du procureur de la République, avec soit la solution de plaider coupable des deux « délits » avec une amende dont le montant est laissé à l’appréciation de la justice, mais qui peut s’élever d’après les textes jusqu’à 10.000 € avec inscription au casier judiciaire, soit refuser et affronter un procès pénal avec le risque des mêmes amendes, inscription au casier judiciaire et même jusqu’à un an de prison !
Au vu de la chronologie accélérée qu’il subit – mise en cause quelques jours seulement après l’audition… – le dossier est visiblement déjà « ficelé » à l’avance selon un avocat contacté.
En allant au procès il y a toutes les chances de l’emporter mais en s’épuisant en temps, en énergie et en finances face au « système » qui a tout le temps, les services juridiques internes et les moyens financiers. D’où le « plaider coupable » retenu…
Mais rebondissement, quelque temps après ces événements, un séminaire orienté Sécurité des vols a lieu à Annecy. Le chef de la circulation aérienne d’Annecy, Sébastien Singh, y intervient parmi d’autres intervenants annoncés au programme de la journée. Et d’expliquer que la politique de la DSNA est en train d’évoluer au niveau national et que le stress d’une panne radio est pris en considération, que la meilleure solution consiste à venir se poser sur
le terrain le plus proche y compris en classe D.
Il précise alors que ce sera désormais la pratique à Annecy, car c’est la meilleure solution en matière de sécurité pour les pilotes. Après la publication du premier article sur ce dossier, le chef de la circulation d’Annecy nous avait adressé un mail où il « regrette profondément la déformation dans votre article de mes propos tenus lors de cette journée Sécurité sans même évoquer l’inexactitude du témoignage pilote lors de l’événement » et annonçant vouloir se « rapprocher pour le coup de mon service juridique » – à ce jour, annonce restée sans suite. Précisons qu’aeroVFR dispose, entre autres, d’une vidéo du séminaire d’Annecy confirmant les propos tels que rapportés sur ce blog…
Pour résumer, ce qui est reproché au pilote – avec un événement remontant à septembre 2023 et ressorti du chapeau début 2025 – sera dans les faits la « bonne pratique » recommandée en cas de panne radio. Il est donc coupable d’avoir avoir eu raison… trop tôt ! Pour cela, il est mis à l’amende ! Après la mise sur la place publique de cette incohérence magistrale, on pensait que le dossier allait être discrètement enterré dans un tiroir comme l’administration sait si bien le faire quand cela l’arrange.
Mais non… le pilote finissait bien ensuite par recevoir une convocation par le tribunal judiciaire d’Annecy, dont l’audience a eu lieu ce 24 juin 2025 afin de déterminer la « composition pénale » à retenir. Devant plaider coupable, le pilote a donc dû reconnaître les infractions suivantes :
– avoir conduit un aéronef non conforme aux règles de sécurité, en l’occurrence, avoir pénétré l’espace contrôlé de classe D (CTR) de l’aéroport d’Annecy sans avoir obtenu de clairance et avoir atterri sur l’aéroport d’Annecy sans clairance.
– avoir circulé avec un aéronef ne répondant pas aux conditions techniques de navigation, en l’espèce avoir effectué des vols avec un aéronef certifié suite à la réparation d’une radio, réparation non effectuée par une personne qualifiée et sans avoir obtenu d’Approbation pour remise en service (APRS).
En conséquence, la composition pénale qui lui a été proposée consiste à verser une « amende de composition » au Trésor public d’un montant de… 1.000 €, ce versement devant être effectué dans un délai de 3 mois.
À titre de comparaison, on peut signaler un dossier similaire survenu en 2024 à un pilote américain, ancien pilote de ligne et testeur-examinateur hydravion pour la FAA. Aux commandes d’un Grumman UH-16 Albatross, hydravion à coque, bimoteur, lors d’un vol international et sans plan de vol, il avait pénétré sans contact radio dans l’espace aérien… de Nice – rien à voir en termes de trafic avec Annecy ! Après le même processus juridique (audition à la BGTA, convocation en vue d’une procédure de composition pénale), ce pilote s’était vu infliger une amende de… 300,00 € On constate une fois de plus des divergences de peines et un montant « à la gueule du client ». 1.000 € pour Annecy sans radio, 300 € pour Nice sans radio ni plan de vol en vol international, cela devrait faire 50 € à Roissy, non ?
Si ce pilote ayant pénétré l’espace aérien de Nice sans radio, sans plan de vol bien que venant de l’étranger, méritait un rappel à l’ordre pour non-respect de la réglementation et préparation insuffisante du vol, ce n’est assurément pas le cas du pilote d’Annecy qui a géré une panne radio, cas de force majeure, et qui a clôturé son audition à la BGTA en pensant – avec le recul de plus de 6.800 heures de vol à l’époque, ayant été CRI(A) français, instructeur mono et bimoteur aux USA – « avoir pris la décision de loin la moins dangereuse pour tout le monde, les autres aéronefs et le mien ». On note que le contrôleur à Annecy ce jour-là a considéré que la situation était claire et n’entraînait aucune suite, l’incident étant clos.
Donc, pour avoir appliqué la procédure qui, aux dires du chef de la circulation aérienne locale, sera bientôt reconnue comme « bonne pratique » à Annecy, ce pilote est condamné à verser 1.000 € au Trésor public ! Cette seule phrase – résumant bien ce dossier ubuesque – entraîne aussitôt l’effondrement de toute la dialectique développée cette dernière décennie autour du TEM (gestion des erreurs et des menaces), des facteurs humains (FH), de la culture juste, des « bonnes pratiques » et de l’analyse des risques.
Tout l’édifice s’effondre par cette seule amende – incompréhensible et tout au moins disproportionnée – qui démontre dans les faits tout le contraire du discours de la DGAC ces dernières années, avec une démarche totalement anti-pédagogique (negative-training).
On marche vraiment sur la tête. C’est un terrible message qui vient d’être envoyé à la communauté des pilotes de l’Aviation générale par le système – comprendre la DGAC, la DSAC, la DSNA et la BGTA… Le rouleau compresseur répressif a été ressorti du placard.
C’est un retour en arrière magistral qui décrédibilise le système. ♦♦♦
Photos © DR
Ndlr : ironie du sort, ce même 24 juin, la MALGH (Mission aviation légère, générale et hélicoptère) tenait son colloque « Préparer l’avenir de l’aviation légère en France »…