Coup de force pour interdire tout accès à un hangar double-tonneau…
L’aéroport de Rouen-Vallée de la Seine – ex-Rouen-Boos – a la particularité de compter deux pistes, l’une en dure, l’autre en herbe mais sans taxiway de liaison entre les deux, la zone entre les pistes étant occupée par l’aérogare et les parkings automobiles. Ceci entraîne deux secteurs d’activité bien séparés. Avions, hélicoptères et ULM côté piste en dur. Planeurs, avions de collection et quelques ULM côté piste en herbe.
Ainsi pour la partie « herbe », plusieurs associations utilisent la piste et le hangar historique, un double tonneau datant de 1934. Son montage est de type Gustave Eiffel, ingénieur ayant su construire une structure autoportante d’une grande largeur sans mettre un seul poteau au milieu. Un autre exemple, datant de 1938, se trouve à Besançon-Thise, classé Monuments historiques en 2007 après travaux de remise en état. A Boos, on y trouve quelques avions de collection, une école ULM et ses quatre machines, et le Groupement rouennais d’aviation légère (GRAL), le club vélivole le plus ancien en France, ayant fêté l’an passé ses 95 ans.
Ainsi allait l’activité jusqu’en 2024, l’aéroport étant alors géré par la Métropole de Rouen. Mais fin 2024, la société SEALAR (Société d’Exploitation et d’Action Locale pour les Aéroports Régionaux, fondée en 2019), après réponse à un appel d’offres, a rajouté à son offre commerciale comptant déjà les aéroports de Caen, Deauville, Le Havre-Octeville, celui de Rouen – le tout engendrant des sociétés d’exploitation distinctes pour chaque aéroport, la SEARVS pour Rouen-Vallée de la Seine. Le directeur de ce dernier aéroport, Hervé Boulant, en poste depuis janvier 2022, a alors rejoint la SEARVS pour poursuivre son rôle.
C’est lui qui, par un mail en date du jeudi 19 juin 2025, adressé aux utilisateurs des hangars double-tonneau côté piste en herbe, les a informés « qu’à la suite d’un diagnostic bâtimentaire commandé par le concessionnaire, l’état des bâtiments que vous occupez a été qualifié de dangereux. Le rapport d’expertise qui vient de nous être transmis fait état de risques sérieux pour la sécurité des personnes, imposant sans délai une fermeture totale et immédiate des lieux ».
Et de poursuivre : « En conséquence et en accord avec le Syndicat Mixte de Gestion de l’Aéroport Rouen Vallée de Seine, toute présence, circulation ou intervention à l’intérieur des hangars est formellement interdite, à compter de ce jour et jusqu’à nouvel ordre. Des mesures de sécurisation du périmètre seront mises en place afin de prévenir tout accès non autorisé. Cette interdiction s’applique à l’ensemble des occupants, prestataires, visiteurs et tiers, sans exception, dans le but de garantir la sécurité des personnes et de prévenir tout incident lié à l’état structurel dégradé des bâtiments ».
Ainsi, sans autre information au préalable ni concertation, l’accès à ces hangars jointifs devenait interdit pour 7 occupants disposant d’une autorisation temporaire du domaine public dont quatre associations, les utilisateurs et/ou propriétaires d’appareils stockés à l’intérieur… Avec les difficultés engendrées par cette situation soudaine, le directeur de l’aéroport proposait une « rencontre dans les plus brefs délais pour rechercher des solutions, mêmes provisoires ». Entre-temps, le préfet ayant été prévenu, la maire de Boos, Bruno Grisel, a pris un « arrêté de mise en sécurité » (n°2025-106 du 21 juin 2025) imposant l’évacuation et l’interdiction d’accès aux hangars…
Deux jours plus tard, une première réunion évoquait l’état de ces derniers. Lors de l’appel d’offres pour la gestion de l’aéroport, une clause du cahier des charges établi par le syndicat mixte de gestion de l’aéroport (dirigé par M. Sileyman Sow et constitué de la Métropole de Rouen et de la CCI) aurait imposé au délégataire un rapport sur l’état des bâtiments, étude faite par la société TPF Engineering, filiale du groupe TPFI, « acteur incontournable de l’ingénierie aéroportuaire » selon le site internet de SEALAR, TPFI se trouvant par ailleurs être actionnaire de la SEALAR – cela tourne un peu en rond en s’approchant du conflit d’intérêts. À minima, une contre-expertise plus « indépendante » se justifierait amplement sauf à créer une version moderne de l’adage « Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage ».
Une seconde réunion, quelques jours plus tard, réunissait les utilisateurs, la SEALAR, la Métropole et, en visio-conférence, des représentants de TPF Engineering. Etait mis en avant le « danger imminent » avec un tirant cassé, trouvé au sol, faisant partie des tirants latéraux de soutien du hangar. Il était pourtant avéré que ce tirant avait été cassé il y a une dizaine d’années par les engins assurant la tonte autour du bâtiment et non pas suite à une chute ou une rupture par usure. Il était également avancé que d’autres éléments étaient tombés du toit, ce que dément totalement le président du club vélivole, Jean-Marie Cruet, qui n’aurait pas laissé perdurer une telle situation aussi critique avec des risques humains pour ses membres et financiers pour la dizaine de planeurs, motoplaneurs et ULM dont un remorqueur se trouvant une quinzaine de mètres sous la toiture.
À ce jour, personne n’a pu obtenir, côté utilisateurs, ce rapport d’expertise justifiant l’arrêté de fermeture, document propriété du Syndicat mixte, propriétaire dudit hangar double-tonneau, mais la SEALAR/SEARVS l’a obtenu puisque sollicitée par aeroVFR, un extrait de la conclusion nous a été communiqué, indiquant que « le système de stabilisation de l’ouvrage est gravement endommagé. En l’état actuel, la solidité de la structure ne peut être garantie en cas de tempête. Il existe un risque réel d’effondrement », ce « fondement technique » entraînant la commune à prendre l’arrêté. On notera que ces dernières années, ce hangar a subi plusieurs tempêtes sans dommages et le diagnostic semble s’être limité à des prises de photos, sans faire appel à une commission de sécurité. À écouter le gestionnaire de l’aéroport, la SEARVS « a sollicité le propriétaire pour connaître la suite donnée à cette situation, l’arrêté l’obligeant à réparer ou à défaut de faisabilité technique, de démolir le hangar ».
Lors de la discussion pour trouver des solutions répondant aux attentes des utilisateurs, certains dont les ULM ont pu être relogés dans les hangars côté piste en dur. Mais aucune solution réaliste n’a été proposée pour le club vélivole. En place des 1.500/2.000 m2 du hangar demi-tonneau, accueillant planeurs, motoplaneurs, ULM remorqueur, ateliers… il était seulement proposé un hangar de 450 m2 et, pour les planeurs ne pouvant y trouver place, de les démonter pour les mettre dans leurs remorques ou dans des containers. Le hangar proposé se trouvant côté… piste en dur, toute activité vélivole devenait impossible sauf à transférer et à remonter/démonter chaque matin et chaque soir les planeurs d’une piste à l’autre sans le moindre taxiway les reliant. D’où le refus du GRAL pour cette solution totalement irréaliste.
Sous le titre « Hangar condamné à l’aéroport de Boos : la situation se crispe autour de deux associations », le quotidien local Paris Normandie, indiquait courant juillet que « sur les sept locataires du hangar, deux n’ont pas encore pu déménager leur matériel. Elles espèrent pouvoir rester dans le bâtiment. Et la situation commence à agacer le syndicat mixte et le gestionnaire »… Il est en effet plus simple pour le premier de démolir le hangar plutôt que de le réparer, si l’expertise menée se révélait exacte – ce qui en l’absence de diffusion publique laisse planer sérieusement un doute – et pour le second de faire abstraction du vol à voile pour se concentrer sur l’aviation d’affaires… Il est certain que sans planeur, la piste en herbe n’est plus utile pour l’aviation mais pas pour d’autres utilisations plus rentables.
Le 21 juillet, le président du club vélivole interpellait par mail les « acteurs » de ce dossier, un mois après que l’association se soit vue interdire l’accès à son hangar A2 et sans évolution de la situation. Et de préciser que « cette situation nous met en difficulté grave et immédiate puisqu’elle conduit, sans consultation et sans préavis, à l’arrêt brutal de notre activité de pratique et d’enseignement du vol en planeur, en pleine période de forte activité alors que des formations de pilotes, souvent tremplins vers des carrières aéronautiques étaient en cours ».
Demandant à renouer le dialogue et de se réunir dans les plus brefs délais pour trouver une solution acceptable, le club vélivole n’a reçu aucune réponse à ce jour. Mais on le sait, il est encore plus facile de « jouer la montre » en France, au mois d’août. En attendant, un an après les Jeux olympiques vantant les mérites du sport, la métropole rouennaise pourrait voir disparaître la plus ancienne association sportive de vol en planeur de France. Tout un symbole en matière de soutien au monde sportif et bénévole… ♦♦♦
Ndlr : sollicitées le 28 juillet pour connaître leur opinion sur le dossier, la mairie de Boos et la FFVP n’avaient pas répondu à la date de mise en ligne de cet article.