Feuilleton d’été en trois épisodes. Suspense garanti…
– Gremlins : Un gremlin est une créature folklorique farceuse et espiègle, de la taille d’un lutin, ayant une prédilection pour la mécanique. Il est inventé au début du 20e siècle pour expliquer l’origine des dysfonctionnements des aéronefs, puis plus tard d’autres machines. La dernière génération s’est mise au numérique…
Ce sont les vacances. Vous avez du temps… Vous est proposée la lecture résumée d’un rapport du BEA qui aurait pu donner lieu à un feuilleton en trois épisodes mais pour éviter tout suspens, la totalité se trouve ci-dessous !
Mis à part sur le site du BEA, l’affaire a fait peu de bruit semble-t-il. Ce récent rapport du BEA laisse pourtant songeur sur les « failles » des processus de certification de certains équipements, non pas sur des monomoteurs volant en VFR mais sur des avions de ligne volant en IFR avec passagers à bord. Ce document du BEA est un rapport « intermédiaire »
(26 pages…) sur trois incidents similaires survenus à trois Airbus de deux compagnies entre septembre 2024 et avril 2025.
Le titre du rapport intermédiaire du BEA est un peu long mais résume bien l’enchaînement des problèmes rencontrés et des conséquences possibles : indisponibilité du transpondeur, indisponibilité du système ACAS, difficultés ou perte de communication radio et datalink, dégradation des capacités d’approche et d’atterrissage, rapprochements dangereux…
Dès les premières lignes du rapport, on lit que « pour les trois vols concernés, les difficultés
ou pertes de communication radio ainsi que les indisponibilités du transpondeur et/ou du système ACAS s’expliquent pas une défaillance du système DRAIMS (Digital Radio and Audio Integrated Management System) ».
Épisode 1
Septembre 2024. Un A320 d’Aer Lingus est en croisière entre Dublin, Irlande, et Bordeaux-Mérignac. Quinze minutes avant le début de la descente depuis le FL330, alors que l’équipage est en contact avec le CRNA-Ouest de Brest, le commandant de bord entend des grésillements dans son casque. Sur le Radio Management Panel (RMP) n°1, une alternance d’un affichage normal et un message ambre est constatée, et un affichage normal ou un écran vide sur le RMP 2. Des déclenchements répétitifs d’alarmes visuelles et sonores sont enregistrés annonçant les radio et transpondeur en stand-by, ainsi que le TCAS, le RMP 2 en Off et le RMP 1 en panne.
Peu après, l’avion disparaît de l’écran radar du contrôleur. Ce dernier contacte l’équipage
par radio qui lui précise avoir un problème avec le système de communication et de son transpondeur. Le contrôle demande le maintien du FL330. La qualité sonore des messages émis par l’avion se dégrade puis le contact radio est perdu. L’avion réapparaît temporairement à deux reprises sur l’écran radar puis va disparaître jusqu’à la fin du vol. Le contrôleur de Brest prévient son collègue de Bordeaux (CRNA-Sud-Ouest) de l’arrivée dans son secteur d’un avion sans contact radar ni radio.
Pendant ce temps, l’équipage s’active, tente plusieurs reset de chaque RMP, affiche le code transpondeur 7600 sans succès. Le cockpit est devenu entièrement silencieux. Ils ne s’entendent pas dans leurs casques. L’équipage pense qu’il fera l’objet d’une interception par un chasseur mais cela ne sera pas le cas… Le commandant de bord consulte la procédure Panne de communication Air-Sol du manuel d’exploitation. Étant en VMC, il suit la procédure qui prévoit d’atterrir sur l’aérodrome adapté le plus proche. Il considère que sa destination répond au problème et il suit son plan de vol tel que programmé dans le FMS pour respecter les contraintes d’altitude des procédures d’arrivée et d’approche. Ceci minimise également
le temps de vol.
AU sol, les différents centres de contrôle civil et les organismes militaires se coordonnent, tout en suivant l’A320 via Flightradar24. La base de Cognac et prévenue en cas d’interférence avec leur zone, le contrôleur militaire voyant l’appareil sur Flightradar24 et au radar primaire. Aucune assistance en vol n’est envisagée. Le contrôle de Brest demande à l’équipage de passer avec Bordeaux, message qui ne sera pas reçu.
L’équipage amorce la descente. Le CRNA Sud-Ouest appelle la base aérienne de Cognac et évoque une assistance possible via l’activation de la permanence opérationnelle. À bord, le RMP2 redevient actif mais le système ne peut émettre que sur la fréquence de… Dublin ou celle de Tarbes-Lourdes-Pyrénées, identique. Le contrôleur de ce dernier aéroport entre en contact avec l’équipage, ce dernier lui demandant de relayer sa position et ses intentions avec l’approche de Mérignac.
Peu après, l’équipage récupère la capacité de changer de fréquence radio et émet sur 121.500 MHz puis sur l’approche de Mérignac, sans recevoir de réponse. Finalement, le contact radio est rétabli sur 121.500 MHz avec Mont-de-Marsan. L’équipage confirme ne pas avoir besoin d’assistance et demande une fréquence. Le CNRA Sud-Ouest veillant aussi 121.500 MHz demande de passer sur une fréquence de Mérignac. Un conflit potentiel avec un avion de la British Airways est évoqué avec une séparation minimale de 3,2 nautiques et 175 ft dans le plan vertical.
Sur la fréquence, l’équipage se signale en descente à plusieurs niveaux. Le contrôleur demande à l’équipage de confirmer son niveau de vol puis demande au vol British Airways de tourner à gauche au cap 090°. Les deux équipages collationnent en même temps et virent tous les deux de 90°. Ce double collationnement n’est pas relevé par le contrôleur. Le vol British Airways est alors 500 ft au-dessus du vol d’Aer Lingus.
L’équipage du 320 déclare un « Pan Pan », notant que la fréquence de l’ILS23 n’est pas sélectionnée automatiquement par le FMS et qu’il ne peut le faire manuellement. Il finira par sélectionner la fréquence de l’ILS23, via un « mode dégradé de réglage et de sélection des moyens de radionavigation via les RMP », et après deux circuits d’attente, il est autorisé à l’approche puis à l’atterrissage. « Lors de l’escale, un organisme de maintenance teste les transpondeurs et les deux RMP. Les résultats des tests ne mettent en évidence aucune anomalie. Le vol retour se déroule sans incident particulier ». On reste perplexe sur la décision de repartir après autant de problèmes rencontrés à l’aller. Une annotation figure-t-elle dans le carnet de route !
Épisode 2
Janvier 2025. Cette fois, c’est un A321 de Transavia entre Grenade-Jaen, Espagne et Amsterdam Schiphol, Pays-Bas, au FL340. L’équipage en contact avec le CRNA Sud-Ouest indique des alertes dont notamment radio et transpondeur en stand-by, ainsi que le TCAS. La fonction STBY NAV s’active sans intervention de l’équipage sur les deux RMP et les fréquences radio des deux RMP sont désynchronisées. Des passages répétés du TCAS en mode STBY sont notés.
Sur une période de 20 minutes, l’avion disparaît 6 fois des écrans radar et réapparaît avec un code transpondeur aléatoire (2107, 1001, 2110, 2111) ne correspondant pas au code affiché par l’équipage. Le mode C est perdu de façon intermittente, la fonction Ident s’active sans intervention à plusieurs reprises. Des pertes totales de l’audio sont notées par le copilote qui ne reçoit aucun signal dans son casque et un message émis n’est pas reçu par le centre de contrôle. L’équipage tente un reset de chaque RMP.
L’équipage est transféré au CNRA Ouest mais une fois passé sur la nouvelle fréquence, le message de l’équipage est reçu par CNRA Sud-Ouest et l’équipage indique ne plus pouvoir changer de fréquence radio. Deux fréquences sont disponibles, celle du CRNA Sud-Ouest et 121.500 MHz. Le CRNA Ouest prévenu indique ne pas pouvoir accepter l’avion dans ces conditions.
L’équipage déclare Pan Pan, indique des problèmes de radio, transpondeur et TCAS.
Il demande à se dérouter sur Orly mais le CRNA SUd-Ouest refuse lui proposant Bordeaux-Mérignac. Le centre de contrôle d’approche de Mérignac confirmant avoir un poste radio de secours pouvant émettre sur 121.500 MHz, le déroutement est effectué. Le commandant de bord anticipant une éventuelle perte de toutes les communications demande des autorisations d’approche et d’atterrissage anticipées.
Après coordination entre CNRA Sud-Ouest et l’approche, une clairance limite à 5.000 ft
sur le point ETPAR est donnée. L’appareil est autorisé à l’approche, transféré sr 121.500 MHz. L’équipage ne parvient pas à active le mode approche du FMS ni à armer les modes de guidage associés aux approches RNP. Il utilise d’autres modes pour sélectionner manuellement route et pente d’approche avant un atterrissage sans incident.
« Lors de l’escale, un organisme de maintenance réalise des tests fonctionnels des récepteurs multimodes et du TCAS. Aucune panne n’est mise en évidence. Une fois les tests terminés, l’équipage décide de couper complètement puis de rétablir l’alimentation électrique de l’avion dans le but de réinitialise tous les systèmes ». Plus tard, l’appareil redécolle pour rejoindre sa destination initiale. À la rentrée du train, l’équipage indique noter l’alerte TCAS STBY. La radio fonctionne normalement mais le contrôleur indique ne pas recevoir e bon code transpondeur (1000 sélectionné et 1001 affiché sur l’écran radar) ni l’information d’altitude. L’équipage ne parvient pas à sélectionner un autre code transpondeur. Le vol est refusé par le CNRA Sud-Ouest, l’avion fait demi-tour, atterrit à Mérignac, étant immobilisé pour analyse de la panne par l’exploitant.
Épisode 3
Avril 2025. Un A321neo de Transavia décolle d’Alicante, Espagne, pour Amsterdam Schiphol, Pays-Bas. Lors de la montée, le commandant de bord entend des grésillements dans son casque. En croisière, lors d’un changement de fréquence, l’équipage constate que les changements faits sur le RMP 1 ne sont pas synchronisés sur le RMP 2 mais ceux faits sur le RMP 2 sont bien pris en compte sur le RMP 1.
Puis, des déclenchements répétitifs d’alerte (radio, transpondeur sur STBY) sont notés.
Au FL360 un essai radio montre une qualité audio dégradée, l’avion restant visible au radar. Mais peu après, le contrôleur annonce une perte de contact radar et l’équipage indique des problèmes sur les deux transpondeurs. Le contact radar est rétabli peu après mais le code transmis est 2000 puis le contact est à nouveau perdu, jusqu’à la fin du vol.
Suite à l’alternance d’un écran vide et d’un affichage normal sur le RMP 2, ce dernier est coupé. Les alertes cessent. Remis en service, elles réapparaissent. Le RMP 2 est donc coupé définitivement jusqu’à la fin du vol. Le CNRA Est contacte le centre de contrôle en route de Maastrich, ce dernier le voit en primaire mais que sans transpondeur ni information de niveau de vol, l’avion devra descendre pour passer dans l’espace géré par Paris et Bruxelles. Contactés, les organismes militaires confirment avoir l’appareil en primaire.
Après des messages pour séparation avec d’autres trafics, Maastricht refusant de prendre en compte l’appareil, comme Bruxelles qui n’a pas de primaire, le CNRA Est fait virer l’appareil vers un point de report pour y faire une attente. L’équipage après un 360° demande des instructions sur la suite du vol. On lui répond de poursuivre les 360°. Finalement, l’appareil est dérouté sur Lille-Lesquin. Maastricht demande à ce que l’avion ne pénètre par leur espace aérien. Le CNRA Est répond qu’ils essayent mais qu’ils ne voient pas l’avion…
À un moment, l’appareil se rapproche d’un autre avion de ligne avec une distance minimale de 3.9 nm et un espace vertical d’environ 1.400 ft. Le transpondeur du 321 étant en stand-by, aucune alerte TCAS ne peut être générée. Les équipages ne se voient pas. L’équipage confirme le déroutement sur Lille mais peu après, Bruxelles annonce au CRNA Est qu’ils visualisent l’avion sur leurs écrans radar, le contrôle en route d’Amsterdam le voit en radar primaire et donc le transfert de l’avion est accepté, l’avion devant rester stable au FL240 avant d’atteindre sa destination finale.
Après un nouveau problème d’affichage de fréquence – le commandant entend la fréquence de Bruxelles en bruit de fond en plus de celle d’Amsterdam… – l’appareil est transféré sur une fréquence dédiée pour éviter tout changement de fréquence avant l’atterrissage.
Événements similaires
Pour ce rapport intermédiaire, les recherches ont permis d’identifier 6 autres événements similaires sur la famille A320neo et A330neo entre mars 2023 et avril 2025. Soit des problèmes de radiocommunication, de transpondeur, de TCAS ou de moyens de radionavigation. Il est probable que « le nombre d’événements similaires soit en réalité supérieur ».
L’équipement en cause est le Digital Radio and Audio Integrated Management System (DRAIMS) développé par Thales. Il contribue aux fonctions de communication (VHF/HF, Satcom, interphone cabine, etc.), d’alertes sonores, de surveillance (transpondeurs, ACAS) et de radionavigation, en secours ou en contrôle principal assuré par le FMS.
Le BEA précise que « ce système présente un mode de défaillance, non anticipé lors du développement et de la certification, qui peut avoir de multiples conséquences et affecter notamment les moyens de communication (…), les alertes sonores, le fonctionnement et la disponibilité du transpondeur, les disponibilités du TCAS, les capacités d’approche et d’atterrissage, et la disponibilité des modes de guidage associés, ainsi que la sélection en secours des moyens de radionavigation. Une fois la défaillance apparue, le nombre de fonctions affectées est variable et peut évoluer au cours du vol ». Excusez du peu… en notant que « ces trois incidents ont mis en évidence que l’apparition de cette défaillance et sa gestion en temps réel peuvent mettre en échec l’ensemble des barrières de sécurité permettant d’éviter une collision en vol ».
Suite aux problèmes rencontrés, une modification du logiciel a été développée par Thales au niveau de l’Audio Management Unit (AMU) pour la famille A320neo et certifiée par l’EASA.
Une consigne de navigabilité EASA a été effective le 4 juin dernier. Le retrofit des A320neo en service a débuté en avril 2025 et devrait s’achever, selon Airbus, au deuxième semestre 2026. La CN impose que « la modification logicielle soit faite avant le 4 décembre 2026 ».
Au 1er juillet 2025, sur les 1.062 A320neo livrés sans correctif, environ… 110 avaient reçu la modification logicielle.
Pour les A330neo, certification du correctif en cours, au 1er juillet, 30 avions étaient équipés du nouveau système. Sur A350, l’architecture du système est différente, ne pouvant « amener à une mise en stand-by forcée du transpondeur ». Une évolution logicielle similaire sera mise en place dans la prochaine version du système DRAIMS sur A350. Au 1er juillet, 25 A350 étaient équipés du système DRAIMS.
En attendant la mise en oeuvre du correctif, Airbus a élaboré des procédures temporaires, permettant aux équipages « d’appliquer en vol des actions correctives pour récupérer certaines fonctionnalités perdues (au minimum, la capacité du transpondeur à émettre).
Ces procédures font chacune l’objet d’une modification temporaire du manuel de vol de l’avion ».
Procédures en cas de perte radio et/ou radar
Les cas de figure rencontrés étant peu communs, le BEA fait un rappel sur les procédures, les normes et les pratiques recommandées. On note que les situations rencontrées ne sont pas prises en compte car en cas de panne radio, le contrôle compte sur le transpondeur et en cas de panne de transpondeur, il compte sur la radio. Mais rien n’est vraiment prévu pour la double panne ! En effet, « ni la réglementation européenne, ni les documents OACI ne prévoient de procédure spécifique pour la panne radio et la panne transpondeur simultanées » !
Comme l’accident de l’A320 à Mulhouse-Habsheim, ou celui de l’A330 du vol AF447, ce dossier constituera assurément un « marqueur » dans le domaine de la sécurité des vols. Le BEA annonce déjà trois enquêtes de sécurité à venir sur les thèmes suivants :
– l’analyse de la défaillance du système DRAIMS,
– le développement et la certification du système DRAIMS,
– les procédures et la formation des contrôleurs aux situations anormales et d’urgence,
– les procédures en cas de panne radio et/ou panne transpondeur,
– la possibilité d’accéder à une information issue de radars primaires pour la gestion
d’un aéronef en panne de transpondeur,
– la coordination avec les organismes militaires pour l’assistance en vol pour les aéronefs
en difficulté ou en détresse,
– les capacités d’émission-réception des organismes de contrôle sur la fréquence de détresse.
A suivre, donc… ♦♦♦
En téléchargement, le rapport du BEA :
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