Les intrusions de trafics VFR en espace aérien contrôlé de classe A, C ou D ne baissent pas, constituant un problème majeur de sécurité pour la DSNA.
Cela fait des années que la Direction des services de la Navigation aérienne (DSNA/DGAC) a mis en oeuvre différentes actions pour diminuer le nombre d’intrusions d’espaces aériens contrôlés (classes A, C et D), notamment par des « formums VFR » d’information dans les régions pour sensibiliser instructeurs et pilotes sur ce sujet, la publication d’articles dans la presse spécialisée, des réunions de concertation avec le CNFAS, etc. Ce sujet a déjà été abordé sur ce site, notamment ici et là.
Mais le constat est là : aucune baisse des intrusions n’est constatée. De plus, « malgré le faible nombre de vols VFR observés lors de la reprise post-Covid, le nombre d’intrusions a explosé par rapport à l’année dernière ». La carte ci-dessous en révèle déjà les chiffres en augmentation avec la comparaison entre 2019 et 2018. On constate que dans certaines régions à l’espace aérien complexe, le nombre d’intrusions a quasiment doublé d’une année sur l’autre, passant de 83 à 151 en région parisienne et de 75 à 157 en région lyonnaise.
La carte suivante montre le nombre de cas enregistrés lors de la reprise des vols après le confinement, soit sur la période allant du 12 mai au 31 août 2020. C’est une comparaison entre 2019 et 2020. On note entre autres que pour la Bretagne, on est passé ainsi de 8% de cas à 15% et de 10 à 22% pour le pourtour méditerranéen même si d’autres régions « s’en sortent mieux ».
Pour tenter de sensibiliser la population des pilotes, la DSNA donne un seul exemple réel, survenu en septembre dernier. Un jet d’affaires Challenger en provenance de Grande-Bretagne est en longue finale pour un atterrissage en 27 au Bourget, l’équipage étant sous guidage radar. Au même moment, en provenance de Lognes, un DR-400 remonte vers le nord, transitant sans contact radio sous l’espace dédié aux finales de Paris-CDG et du Bourget, à 2.500 ft QNH soit le… plafond de l’espace de classe G.
Puis soudain, ce DR-400 se met en montée et pénètre donc en classe A (interdite aux VFR) qui débute quelques pieds au-dessus de son altitude de transit. Sa trajectoire l’amène à passer juste sous le bizjet en guidage radar pour la 27 au Bourget. Le contrôle reçoit une alarme et fait aussitôt une information de trafic à l’équipage du jet d’affaires. Ce dernier, ayant déjà noté une alerte au TCAS, s’était déjà mis en montée.
Sur cette image radar, le Challenger est le plot rose à droite désigné B VJT453. Le DR-400 est représenté par le plot noir juste devant le jet d’affaires. Les trois lignes de traits verts représentent les axes de finale avec l’espacement des avions pour la régulation du trafic. L’axe en bas est celui menant à la 27 au Bourget. Au-dessus, avec des avions de ligne en finale, il s’agit d’appareils en finale sur le doublet de piste sud à CDG, les pistes nord de CDG n’étant pas utilisées à cet instant.
Le DR-400, toujours sans contact radio, grimpera jusqu’à 2.700 ft. Une fois le risque de collision passé, le Challenger a pu récupérer son plan de descente sur l’ILS de la 27 au Bourget et s’y poser sans encombre. Mais ce n’est pas fini… car arrivant du nord, en descente pour intercepter l’ILS des pistes sud à CDG se trouve un avion d’Air France (AF6721, le plot rose en haut à droite de l’image radar ci-dessus). En l’absence d’intentions claires de la part du DR-400, le contrôleur ne peut pas prendre le risque de poursuivre la trajectoire du Boeing 777 avec un plot du DR-400 confirmant toujours une montée (27>) – image radar ci-dessous.
Quand l’AF6721 a croisé le DR-400, il est trop tard pour faire tourner le 777 vers la finale car il sera à la fois trop haut sur le plan d’approche et aussi trop proche du Challenger sur sa droite. De plus, un autre liner est déjà en train de s’aligner en finale à sa gauche, qui aurait dû le suivre si tout s’était déroulé de façon nominale… L’équipage du 777, avec 11h30 de vol au compteur en provenance de Mexico, va donc devoir garder un cap au sud pour être ensuite repositionné en longue finale par un virage de 270° par la gauche. La manoeuvre nécessitera environ 10 minutes supplémentaires de vol.
Il y a certes des difficultés à évoluer en VFR à proximité des grandes agglomérations et des aéroports (complexité des espaces aériens, conditions météorologiques non favorables) mais cela impose encore plus une bonne préparation du vol, une gestion appropriée de la gestion du vol (suivi de la navigation, bon calage altimétrique, gestion de la charge de travail à bord, vigilance continue). La DSNA note que les tableaux de bord comprennent de plus en plus des équipements performants (GPS) mais que ces derniers peuvent apporter un faux sentiment de maîtrise… Il y a de plus parfois une mauvaise prise en compte des informations aéronautiques, avec un bémol de la diffusion de l’information aéronautique pas toujours adaptée si l’on aborde notamment les Notams…
Ce problème d’intrusions en espace aérien contrôlé n’est pas limité à la France. Le service anglais en charge de la navigation aérienne outre-Manche (NATS) a mené des actions similaires ces dernières années. Ces problèmes ont un temps entraîné la création d’un groupe de travail intitulé EAPAIRR pour… European Action Plan for Airspace Infringement Risk Reduction ou plan d’action européen pour la réduction du risque d’intrusion en espace aérien… Ce dernier avait travaillé sur cinq thématiques : Conscience de la sécurité, Compétences pilote en navigation et communication, Conception et organisation des espaces, Service d’information de vol et Fourniture de l’information aéronautique. Mais les travaux ont été mis par la suite en sommeil.
Au final, comme le montre l’exemple du DR-400 qui affecte le trafic des finales au Bourget et à Roissy, les « intrusions en espaces aériens contrôlés représentent une problématique de sécurité importante ». Si la DSNA s’est investie dans diverses actions ces dernières années, il faut « admettre que les résultats obtenus demeurent décevants, au vu du nombre d’intrusions reportées annuellement et de sa progression ».
Il est donc nécessaire qu’une prise de conscience soit faite au niveau des pilotes VFR. Une première mesure de bon sens serait de ne jamais croiser au plafond d’une classe G mais de prendre des marges à estimer par chacun en fonction de sa capacité à tenir une altitude constante, y compris lorsque la charge de travail augmente (tenue du log, changement de réservoir, communication radio ou avec ses passagers, etc.). Il n’est ainsi pas interdit de prendre une tranche de sécurité (de 100 à 300 ft par exemple) pouvant couvrir une imprécision de l’altimètre (3 hPa d’erreur possible en VFR…). A bon entendeur, salut ! ♦♦♦
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