Le cas de l’aérodrome de Laon-Chambry.
Le 17 novembre dernier, c’est par un email de « demande d’avis » de la part de la DSAC-Nord, adressé aux présidents des deux associations présentes à Laon-Chambry, que ces derniers ont pris connaissance d’un projet de signalisation sur les cartes aéronautiques et sur le toit des bâtiments concernés (le « point rouge sur rond banc dans un carré rouge » dont l’effet serait « subliminal » car imitant « le panneau physique apposé sur les établissements sensibles » !) indiquant l’interdiction de survol du centre pénitentiaire de Laon. Si le projet aboutit, cette interdiction exclurait un survol sous 300 m/sol pour les monomoteurs et sous 1.000 m pour les multimoteurs et les turbomachines. Au passage, on note que la réglementation permettra à un Bonanza de survoler le centre pénitentiaire à 1.300 ft mais un CriCri devra monter à plus de 3.300 ft !
Actuellement, le tour de piste à Laon est à 700 ft/sol (1.000 ft AMSL) donc sous le plafond de cette future zone interdite. Et il faut noter que le centre pénitentiaire ainsi subitement protégé se trouve… à l’intérieur des tours de piste 17 et 23. Et ce depuis 1991, année de son inauguration tandis que le club Vol moteur a été créé en 1946. Rehausser le tour de piste n’est pas possible car il imposerait aux deux DR-400 du club (équipés silencieux Chabord) un survol plus important de la ville historique pour tenir le plan en finale sur l’un des QFU. Les ULM bénéficient de circuits rapprochés.
Les deux clubs (avion et ULM), malgré leurs demandes répétées, n’ont reçu aucune donnée concernant des plaintes de survols intempestifs de ces installations les années passées, ce qui confirme que les aéronefs basés (avions et ULM) ainsi que les trafics de passage ne survolent jamais le centre pénitentiaire, ce dernier étant simplement cerclé d’un rond bleu (survol à éviter) figurant en bas de la fiche VAC, mais sans la moindre mention de sensibilisation dans le texte des consignes particulières… Ainsi, les « bonnes pratiques » consistant à ne pas survoler prisons et centres pénitentiaires suffisent depuis des années.
Il apparaît rapidement que la menace mise en avant par la DSAC-Nord provient du survol possible par des drones. Or, le survol du site est déjà interdit sur les cartes à l’usage des aéromodélistes et opérateurs de drones, sans infraction constatée. La confirmation du survol interdit de ce site, via le symbole sur les cartes aéronautiques, servirait dans les faits – à la demande des services de l’administration pénitentiaire, soit le ministère de la Justice – à pouvoir exercer des sanctions pénales en cas de livraison à des détenus de drogue ou d’armes par des drones.
Ainsi, suite à la menace potentielle de survols illégaux du centre pénitentiaire à faible altitude par des drones, les usagers de l’aérodrome à proximité pourraient être pénalisés à la moindre trajectoire jugée trop proche. On pourrait imaginer que l’administration pénitentiaire trouve d’autres moyens pour atteindre ses objectifs, à savoir des filets anti-drones en complément des filets anti-hélicoptères déjà présents sur certaines prisons, disposer d’un matériel de détection de drones ou de l’équipement anti-drones tel qu’il sera utilisé prochainement pour les JO de Paris.
Au niveau de l’équipement de détection, la loi de sécurité globale autorise depuis 2022 les entreprises privées à s’équiper de systèmes de détection des drones. C’est par exemple le cas depuis deux ans de la zone industrielle du Havre. Auparavant, entre septembre 2021 et février 2022, la zone P28 (interdite de survol pour tout aéronef) avait été survolée par des drones à 1.288 reprises dont seulement 134 vols autorisés. Mais que fait la police ! Réponse : l’administration va imprimer un symbole rouge et blanc pour localiser les sites sur les cartes aéronautiques avec poursuites pénales à la clé. Cela sera-t-il suffisant pour les utilisateurs de drones qui ont survolé une zone P de 7.300 hectares comme celle de Rouen ?
Aussi, est-on inquiet à Laon-Chambry avec ce projet de zone créée avec, à l’intérieur des tours de piste, un cylindre virtuel au moins aussi haut que la tour Eiffel… Se basant sur l’article 1 de l’arrêté du 10 octobre 1957 (!), le symbole prévu exclurait explicitement, les manœuvres liées à l’atterrissage et au décollage si l’on en croit des échanges entre les clubs et la DSAC. Quand on sait que c’est la même DSAC qui a transformé les « ronds bleus » (au survol à éviter) de Toussus-le-Noble en zones interdites de survol, avec courrier de rappel à l’ordre et sanctions en cas de récidive lors des départs et arrivées devenus rocambolesques sur ce terrain parisien, on peut douter de la sincérité des propos… L’arrêté du 12 juillet 2019 « relatif aux procédures générales de circulation aérienne pour l’utilisation des aérodromes par les aéronefs » précise seulement ceci au niveau du tour de piste : « Toutefois, des consignes particulières peuvent imposer de suivre un circuit d’aérodrome, ou d’éviter le survol de certaines zones ».
En la matière, officiellement Laon connaîtra le sort final du projet sans doute lors de la prochaine réunion CCRAGALS du printemps. Les CCRAGALS sont les Comités Consultatifs Régionaux de l’Aviation Générale et de l’Aviation Légère et Sportive, institués fin 2005 et dirigés par le directeur de chaque DSAC-IR. Y sont présents les « représentants désignés, pour la zone géographique considérée, par les présidents des fédérations représentatives de l’aviation générale et de l’aviation légère et sportive, ainsi que du travail aérien, et de représentants des organismes civils et de la défense rendant les services de la circulation aérienne à la circulation aérienne générale ou à la circulation aérienne militaire dans la région considérée ».
Il s’agit donc d’un « lieu d’échange et de concertation privilégié entre les usagers et les instances civiles et militaires ». C’est dans les faits une chambre d’écoute des divers avis (en notant que lors des deux réunions annuelles, les fédérations doivent parler d’une seule voix), la décision étant souvent déjà entérinée. Certains CCRAGALS se tenant en avril, donc bien après la clôture des données aéronautiques (celles devant être publiées le 18 avril 2024, date de sortie des cartes IGN/OACI, devaient être reçues au SIA avant le 25 janvier). Si le symbole est déjà présent sur les cartes 2024, cela confirmera le degré de « consultation » des fédérations lors des CCRAGALS. Car il ne fait aucun doute ici que l’avis défavorable des utilisateurs basés aura peu de poids face au rouleau-compresseur de l’administration même si « trop de réglementation tue la réglementation ».
On notera que Laon n’est pas le seul terrain à bénéficier d’un centre pénitentiaire ou un secteur de survol interdit à proximité ou dans son tour de piste. On peut citer Montélimar (centrale nucléaire), Argentan – dont la fiche VAC présente le symbole sur le centre pénitentiaire en début de vent arrière pour la 04 main gauche (pourquoi ne pas mettre le tour de piste à l’est pour les deux QFU ?). Au Mans, ce sont les installations Butagaz en finale 04 qui bénéficient déjà du symbole. Mais ce n’est pas le cas à Aix-en-Provence où le centre pénitentiaire, dans son minuscule « rond bleu à éviter », sert de point de virage en fin de base pour la 32…
Si la propension à créer des zones interdites un peu partout, y compris dans les tours de piste des terrains se poursuit – la société sécuritaire ayant le vent en poupe – il faut s’attendre à ce que la situation à Laon se retrouve dans d’autres régions, avec actuellement 187 prisons dénombrées en France. Une tendance visant à complexifier encore un peu plus les cartes aéronautiques (où est donc ce fameux choc de simplification annoncé régulièrement ?) avec des interdictions de survol de sites qui n’ont pas généré de problèmes majeurs depuis des années avec l’aviation générale (hormis quelques évasions en hélicoptère qui n’auraient pas été empêchées par un symbole sur une carte !), le tout pour gérer une nouvelle menace, celle des drones appelés à s’étendre à l’avenir… Bref, un traitement administratif consistant à accumuler des interdictions déjà effectives dans les faits. ♦♦♦