Le résultat d’illusions sensorielles trompant le système vestibulaire…
En VFR (Visual Flight Rules), le pilotage se fait avec des références visuelles et la vue reste le sens le plus sollicité pour gérer l’assiette et l’inclinaison d’un aéronef, et donc sa trajectoire. Mais quand les références visuelles disparaissent, après une entrée subite en IMC par exemple, la vue n’apporte plus les données essentielles à la gestion de la trajectoire.
Les autres sens tendent à vouloir prendre la relève avec notamment le sens de l’équilibre et aussi la sensibilité aux accélérations et aux mouvements. Et c’est là que se cachent des pièges, dus à des illusions sensorielles trompant le système vestibulaire.
Pour l’équilibre, les données proviennent des trois canaux semi-circulaires de l’oreille interne, qui vont renseigner le cerveau sur les accélérations angulaires (axes de tangage, roulis et lacet). Ils sont remplis d’un liquide et leurs extrémités sont tapissées de poils orientés perpendiculairement à leur paroi au repos – ces otolithes renseignant sur les accélérations linéaires. Mais si un rapide mouvement de rotation de la tête est effectué, le liquide ne va pas suivre instantanément le déplacement du canal, par inertie, et son écoulement va incurver les poils, envoyant au cerveau la perception d’une rotation.
De plus, si la rotation se prolonge de manière uniforme, le liquide atteint un état d’équilibre relatif et la perception de rotation peut alors cesser. Autre défaut, en cas d’arrêt brusque de la rotation, le liquide, toujours par inertie, va poursuive son déplacement et donner la perception d’une rotation en sens inverse. Même (ou à cause…) avec des références visuelles, cela peut être le cas après une sortie de vrille de plusieurs tours (encore plus en vrille à plat où la rotation en lacet est plus rapide), la vue annonçant que la rotation est achevée mais pas encore l’oreille interne, le liquide interne restant encore en mouvement. L’oreille interne est ainsi mal adaptée pour détecter des rotations. L’incohérence des données provenant de l’oreille interne et des yeux peut alors entraîner des nausées.
Pour les accélérations, il faut se souvenir qu’en vol horizontal, à vitesse constante, le pilote est sous facteur de charge de 1 g (gravité). Mais s’il amorce un virage coordonné ou effectue une ressource, la force d’inertie va lui imposer une accélération, résultante de la force d’inertie et de la gravité. Sans références visuelles pour comprendre l’évolution de la trajectoire, la perception d’une accélération positive (le pilote se tassant dans le siège sous les g) ne le renseigne pas sur la source de cette accélération. Est-ce dû à un virage serré ? À une ressource ? À une ressource en virage ? Dans ces différents cas, la perception sera pourtant identique.
Tout ceci fait qu’un pilote habitué à voler en utilisant les références visuelles se trouve totalement décontenancé une fois sans vision extérieure, les sensations perçues par le corps humain poussant le cerveau à imaginer l’attitude de l’aéronef et comme on l’a vu, cette hypothèse a toutes les chances d’être fausse suite à des illusions sensorielles. Il n’est pas possible « d’éduquer » ses propres sensations car ce sont les limites du fonctionnement du corps humain. Le pilotage sans visibilité (PSV) aux sensations est une « vue de l’esprit » avec la forte probabilité de sortir des conditions IMC avec une position totalement inusuelle de l’aéronef sans s’en être aperçu depuis le cockpit.
Ainsi, le pilote peut avoir l’impression de partir en virage alors qu’il est bien sur une trajectoire rectiligne. En voulant corriger par un exemple la sensation d’un départ en virage à droite, il va corriger et partir en virage à gauche, tout en croyant avoir ramené l’appareil ailes horizontales. D’où l’importance en IMC de croire uniquement aux données instrumentales (l’horizon artificiel) et non pas à ses sensations et d’où l’importance également de faire de lentes évolutions de trajectoire, avec de faibles inclinaisons.
La perception de sensations erronées par rapport à la réalité peut aussi être rencontrée
quand les références visuelles ne sont pas totalement absentes mais en grande partie « dégradées », par mauvaises conditions météo, par mauvaise visibilité (white out) lors d’un survol maritime, ou encore en VFR de nuit. Dans ce dernier cas, de fausses perceptions peuvent voir… le jour (!), le cerveau pouvant imaginer un faux horizon constitué de lumières dans le paysage alors qu’elles se trouvent à des altitudes différentes. Sur terrain sans grande urbanisation autour, en montée initiale après avoir quitté les lumières de la piste, c’est le « grand trou noir » proche des conditions IMC.
Ces phénomènes peuvent ainsi mener à la désorientation spatiale, une perte d’orientation car il y a une mauvaise appréciation de la verticale, la résultante des forces de gravité et d’inertie ne correspondant pas à ce que le système vestibulaire considère être la verticale vraie.
Des pilotes de ligne ou de chasse en ont déjà été victimes, malgré leur formation, leur entraînement régulier et leurs compétences au vol en conditions IFR – ce qui n’est pas le cas d’un pilote PPL, même après quelques séances de PSV en instruction, avec les « lunettes » sur le nez pour faire notamment un 180°. Quant aux élèves LAPL, ils sont exemptés de cette formation.
Plusieurs types de désorientation peuvent être mentionnés au niveau des effets :
– elle n’est pas reconnue par le pilote, ce dernier étant inconscient de la désorientation car trompé par ses sensations. Il contrôle donc l’appareil selon une perception erronée, menant avec de fortes probabilités à l’accident.
– elle est reconnue par le pilote avec la conscience d’un conflit entre perceptions sensorielles et indications de l’instrumentation de bord. Cela ne suffit pas forcément à retrouver la « réalité » dans de bonnes conditions.
– elle devient incapacitante avec une réelle incapacité physique à mener les actions nécessaires (sidération, blocage).
Il faut également évoquer le vertige positionnel paroxystique bénin ou VPPB. Selon un rapport du BEA, « le VPPB caractérise de courts épisodes de vertiges souvent déclenchés par des changements rapides de position de la tête. Il s’agit d’un vertige rotatoire, qui se caractérise par une sensation erronée de mouvement provoquée par la mobilisation de cristaux dans l’oreille interne. Il est dit positionnel car uniquement déclenché par le mouvement et peut survenir également en position couchée. Le terme paroxystique signifie que l’apparition du phénomène peut être brutale. Le vertige est qualifié de bénin car il ne fait pas partie des pathologies infectieuses, évolutives ou neurologiques inquiétantes. Cependant, les épisodes peuvent être extrêmement invalidants et menacent la sécurité de toute activité ».
De plus, « l’information de mouvement générée à partir des informations erronées transmises par l’oreille interne entre ainsi en conflit avec les informations visuelles et proprioceptives. La personne, dont le jugement peut être conservé, peut réagir de manière variable en fonction de l’illusion de mouvement subie. Le VPPB peut être déstabilisant au point d’occasionner des actions d’ordre réflexe induites par l’illusion de mouvement qu’il est difficile de contenir pour celui qui l’expérimente (désorientation spatiale de type incapacitante) ».
« Le VPPB peut également se traduire par des manifestations de nature et d’intensité variables. Le VPPB, qualifié de bénin du point de vue médical, est extrêmement dangereux d‘un point de vue aéronautique, en particulier lors de vols mono-pilote à bord d’aéronefs non pourvus de pilote automatique. Impossible à diagnostiquer après le décès, le VPPB peut constituer une cause d‘accidents inexpliqués dont le nombre ne peut pas être estimé » précise le BEA.
Moralité : le vol aux instruments, c’est un tout autre monde et le PSV pratiqué en « bonnes conditions » par exercice simulé en double commande est très loin de s’approcher d’une situation réelle, avec stress inhérent de la partie. ♦♦♦
Déjà publié sur aeroVFR :
– Illusions sensorielles, vous connaissez ?
– Comment éviter ou gérer une entrée en IMC
– Entrées maritimes, danger…
– La menace des entrées maritimes
– Perte des références visuelles
Pour aller plus loin, quelques rapports d’accidents :
VL3 IMC
MCR IMC
DR400 IMC
PC6 IMC
DR400 Brouillard
Mooney Nuit
Rafale Nuit