
Des symptômes similaires mais une récupération inverse à celle d’un décrochage d’aile
Durant les formations initiales pratiques, le décrochage de… l’aile fait partie des différents cursus. Pour cet inévitable exercice de pilotage, ce peut-être ainsi un décrochage en palier
et en configuration lisse, ou en montée pleins gaz ou encore en virage en descente
et en configuration approche ou atterrissage. Dans tous les cas, les actions de récupération consistent à revenir ou garder les ailes horizontales, « rendre la main » pour diminuer l’angle d’incidence et, une fois l’augmentation de la vitesse constatée, afficher une assiette de montée et pousser la manette des gaz en avant, le tout pour limiter la hauteur perdue, au cas où cette situation serait rencontrée un jour à proximité du sol…
Mais un aéronef peut aussi, dans certaines conditions, rencontrer un décrochage non pas de la voilure mais de l’empennage horizontal… Le phénomène peut être subi par exemple à l’arrondi, quand il faut à faible vitesse augmenter l’assiette. La profondeur est alors sollicitée au maximum pour générer une portance inverse (déportance), pour abaisser l’arrière de l’appareil et donc faire pivoter sa partie avant vers le haut autour de son centre de gravité. Pour ce faire, le « volume » de profondeur doit être suffisant pour mener cette action, soit une profondeur efficace de par son profil, son braquage et son bras de levier par rapport au centre de gravité.
À certains centrages avant, le volume de profondeur peut être insuffisant pour permettre d’afficher l’assiette souhaitée à l’arrondi, bien que le manche soit à fond en arrière, « dans le coussin » et donc la profondeur braquée au maximum, en butée. C’est la limite de centrage avant définie dans le manuel de vol. Ce peut être le cas sur certains DR avec des réservoirs dans les apex de voilure. Si l’on est seul à bord, avec peu ou pas d’essence dans le réservoir arrière mais encore du carburant dans les réservoirs d’emplanture, on peut se retrouver trop centré avant et avoir des difficultés à arrondir. Une lecture du centrogramme et du manuel
de vol montre bien que la limite avant a alors été atteinte… voire dépassée.
Dans le cas des DR, la profondeur monobloc ne décrochera pas au braquage maximal.
La solution pour parvenir à atterrir correctement dans ces conditions consistera à approcher avec une vitesse plus élevée (profondeur plus efficace), sans afficher les pleins volets (diminution de l’assiette piquée) et éventuellement en gardant du moteur à l’arrondi pour souffler la profondeur. C’est une situation qui ne doit pas survenir si l’on a bien réalisé son centrage auparavant, non pas seulement aux conditions du décollage mais aussi à celles de l’atterrissage, après avoir déposé des passagers et/ou consommé le réservoir arrière, avançant ainsi le centrage durant le vol…
Décrochage de profondeur à l’arrondi
Mais d’autres machines peuvent être citées, manquant de volume d’empennage à l’arrondi
ou leur plan fixe décrochant peu avant de retrouver le plancher des vaches. C’est le cas, par exemple, de l’ULM G1 Spyl qui permet des atterrissages de précision du fait… que lorsque l’on réduit les gaz à l’arrondi, l’appareil a une très forte tendance à piquer du nez, imposant une action ferme à cabrer au manche pour éviter un contact trop « sec ».
Ce fut aussi le cas du Cessna 177 Cardinal, et ce, après le début de production du quadriplace faisant suite pourtant à ses essais de certification. Dès le début de la commercialisation, des accidents ont été constatés à l’atterrissage. L’appareil était alors propice aux oscillations induites par le pilote (PIO, Pilot Induced Oscillations) quand la réponse de l’appareil n’est plus en phase avec les actions du pilote, le « déphasage » faisant que ce dernier n’est plus dans la boucle de contrôle de son aéronef. Il y eut aussi des atterrissages finissant sur le nez, roulette avant effacée après décrochage de la profondeur de type monobloc.
La Cessna Aircraft Company régla les problèmes en modifiant la masse d’équilibrage de la profondeur, faisant ainsi augmenter les efforts au volant et réduisant les PIO, mais aussi en ajoutant des becs de bord d’attaque à la profondeur mais en mode… inversé. Ainsi, ces becs fixes, intégrés à la profondeur monobloc (c’est-à-dire pivotant intégralement et sans partie fixe), étaient placés à l’extrados de la gouverne afin d’entrer en action à l’arrondi, bord d’attaque pivotant vers le bas pour créer la déportance (portance orientée vers le bas) nécessaire à l’arrondi. Ainsi, les intrados des profondeurs restaient alimentés par l’écoulement aérodynamique, maintenant l’efficacité de la profondeur même au braquage maximal lors
de l’atterrissage…

Sur le plan 3-vues de la Cessna Aircraft Company ci-dessus, on devine ces becs fixes inversés sur la profondeur, à son emplanture. On les devine aussi sur cette photo d’un C-177RG Cardinal en courte finale…

La déflexion aérodynamique…
Mais le problème d’un décrochage de profondeur peut aussi être rencontré sur tout appareil à profondeur monobloc ou pas, dans certaines conditions. C’est ce que les Anglo-Saxons dénomment ICTS pour Ice Contaminated Tailplane Stall ou décrochage de la profondeur suite à une contamination par givrage.
Pour comprendre le phénomène, il faut se souvenir de la trajectoire du vent relatif autour d’un aéronef mais pas uniquement en se concentrant sur le profil de sa voilure, comme c’est le cas dans de nombreux manuels théoriques. Il faut noter que l’écoulement en arrière de la voilure est dévié vers le bas, c’est ce qu’on nomme la déflexion aérodynamique – le tout participant ainsi au processus de portance, par le principe d’action-réaction, avec une masse d’air défléchie vers le bas et donc une poussée exercée vers le haut en réaction.

Ainsi, la déflexion oriente le vent relatif vers le bas en aval de la voilure, faisant que si l’aile est à faible ou forte incidence mais dans tous les cas positive, cela ne sera pas le cas de la profondeur, que cette dernière soit monobloc ou à plan fixe horizontal avec gouverne mobile. La profondeur subit ainsi une incidence faible (en croisière rapide) mais négative à faible vitesse, surtout si les volets sont braqués. En effet le braquage des volets augmente la déflexion et plus les volets sont efficaces (c’est le cas des « portes de grange » des Cessna par exemple) et plus la profondeur va travailler sous une incidence négative durant l’approche
et à l’arrondi.

Sur cette photo d’un Cessna 177 Cardinal à train fixe en très courte finale, on voit bien la profondeur monobloc en incidence négative. Elle serait encore plus braquée si tous les volets avaient été sortis, ce qui n’est pas le cas pour cet exemple précis.

Mais l’arrondi de ce C-177RG Cardinal, à train rentrant, exigera plus de la profondeur, suite au braquage pleins volets de l’appareil.

Un acteur propice, le givrage
Mais dans l’équation peut venir s’ajouter du givre au bord d’attaque de la profondeur.
Cette accrétion de givre, dans certaines conditions propices au givrage (approche en IFR
par exemple), va ainsi modifier le bord d’attaque de la profondeur et dégrader les « performances » du profil, rendre moins efficace la gouverne aux braquages plus importants, comme ceux nécessaires pour contrer le couple piqueur lors de la sortie des volets au bord de fuite de la voilure.
Les profils des empennages horizontaux sont plus minces (épaisseur relative) que les profils de voilures, avec un bord attaque plus pointu et donc une faible surface pouvant être rapidement contaminée. Le phénomène peut donc être subi alors que rien par ailleurs ne trahit la présence de givre sur la cellule, les bords d’attaque des ailes étant par exemple observables depuis le cockpit.
C’est là que la profondeur contaminée, trop sollicitée en braquage mais sans avertisseur
de décrochage – sauf peut-être un possible phénomène de « buffeting » identifiable aux commandes, une diminution d’efficacité du compensateur, des oscillations longitudinales
du manche ou du volant ou encore l’incapacité à bien compenser l’appareil – va décrocher, entraînant un rapide basculement de l’appareil vers le bas. Plusieurs rapports d’accidents témoignent de la probabilité de cette situation en période hivernale. Les pilotes IFR y sont plus confrontés que les pilotes VFR mais on ne sait jamais… Les pilotes nord-américains y sont souvent plus confrontés qu’en Europe, au vu des rapports du NTSB et de Transports Canada mais on peut aussi trouver ce schéma signé DGAC. Illustré avec un jet moderne, c’est en fait un croquis issu d’un rapport d’accident, celui d’un Vickers Viscount victime d’un décrochage de profondeur en approche à Stockholm en 1977.

Le scénario typique intervient lors d’une approche finale à bord d’un biturbopropulseur,
quand l’équipage affiche la pleine courbure des volets et agit sur les commandes en tangage pour contrer les couples à la sortie des volets afin de tenir le glide de l’ILS. La commande de profondeur semble osciller d’avant en arrière malgré les corrections du pilote, puis c’est un soudain piqué brutal, les commandes partant en butée vers l’avant. La hauteur par rapport au sol ne permet pas toujours de récupérer la situation. La documentation de sensibilité à cette menace existe pour les professionnels mais elle demeure peu ou pas connue des pilotes privés.
Ce piqué soudain et violent a toutes les probabilités d’intervenir quand la profondeur est sollicitée en déportance, donc en approche finale, au braquage des pleins volets. Ceux-ci entraînent souvent un couple piqueur et pour rééquilibrer les forces et garder la trajectoire souhaitée, le pilote va devoir tirer un peu plus sur le manche ou le volant pour contrer le couple, et donc faire travailler la profondeur à un angle d’incidence qui devient critique, d’où
le décrochage brutal de la profondeur. La sortie des volets entraîne un recul du centre de poussée de la voilure et donc réduit d’autant le bras de levier de la profondeur et donc la nécessité d’un braquage accru pour stabiliser le « système » en augmentant le moment.
Dans les conditions précitées, le décrochage de la profondeur et l’abattée brutale – les commandes pouvant alors échapper au pilote (il en sera de même avion sous pilote automatique) – peuvent intervenir à des vitesses nettement plus élevées que celles du décrochage de la voilure. Les paramètres en jeu sont le volume de contamination par
givrage, le type de profil, le bras de levier de la profondeur par rapport au centre de gravité donc selon le centrage, le souffle des hélices (une augmentation de la puissance après la sortie des volets va également augmenter la déflexion), la présence de turbulences…
Lors d’essais réels menés par des pilotes d’essais de la Nasa aux commandes d’un Twin Otter pour étudier le phénomène, la perte de contrôle s’est faite en quelques secondes, avec une assiette à piquer de près de 40°.


Recommandations pour gérer la situation
Contrairement au décrochage de l’aile, où il faut mettre du manche ou du volant vers l’avant pour diminuer l’incidence de la voilure, dans le cas d’un décrochage de profondeur, la correction est parfaitement inverse. Il faut agir à cabrer aux commandes (le réflexe doit cependant être instinctif…) mais aussitôt diminuer le braquage des volets pour revenir à un possible équilibre des forces.
Recommandations pour éviter la menace du décrochage de profondeur :
– ne pas utiliser un pilote automatique en approche par conditions givrantes connues.
– en cas de doute, ne pas afficher les pleins volets.
– être prêt à rentrer les volets quand ils sont en cours de sortie lors de l’approche.
– éviter de sortir les volets à la limite de la Vfe. Les sortir le plus tôt possible donc haut.
– un pilotage souple aux commandes et à la conduite moteur.
– être vigilant si les conditions sont turbulentes.
– la phase critique intervient en approche finale durant ou après la sortie des pleins volets.
Procédure pour sortir d’un décrochage de profondeur :
– chercher à diminuer rapidement l’assiette à piquer, car la profondeur est toujours sous incidence négative. La rotation brutale a pu abaisser la gouverne de profondeur par inertie et ainsi accentuer ou maintenir l’assiette piquée. Les efforts aux commandes peuvent être élevés. Il faut cependant prendre garde à ne pas passer d’un décrochage de profondeur à un décrochage de voilure, les symptômes étant similaires (abattée), et la confusion peut alors naître dans le cockpit sur l’analyse du problème.
– rentrer aussitôt les volets à la position précédente (c’est la principale action à mener).
– désengager le pilote automatique.
– revenir aux paramètres moteur précédents avec souplesse. ♦♦♦
En ouverture : profondeur gauche du DH-6 Twin Otter utilisé dans les années 1990 par la Nasa pour étudier le phénomène. Le givrage était simulé par de la mousse. Les tubes Pitot sont là pour analyser la vitesse du vent relatif sous l’action de la déflexion. L’intrados est couvert de fils de laine pour visualiser l’écoulement.
Photos © CC/ FlugKerl2, CC/Mike Burnett, CC/ALf van Beem, Nasa et Cessna Aircraft
Schémas © SkyBrary, Nasa et DGAC